La commission Rouleau a conclu vendredi ses travaux à Ottawa. Le juge Paul Rouleau va consacrer les prochaines semaines à rédiger son rapport, qui devra répondre à une question, essentiellement : le gouvernement Trudeau était-il justifié d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, en février ?

Petit rappel…

L’hiver dernier, le centre-ville d’Ottawa a été occupé par des milliers de personnes venues manifester contre les mesures sanitaires. Plusieurs dizaines de camions lourds s’étaient stationnés partout au centre-ville, le paralysant.

Les résidants du centre-ville qui osaient porter le masque étaient harcelés, bousculés, invectivés. Les klaxons des camions résonnaient toutes les heures du jour et de la nuit, de façon incessante. Le principal centre commercial du centre-ville d’Ottawa a été fermé, à cause des incivilités des manifestants.

Le poste frontalier de Coutts, en Alberta, a été paralysé par d’autres manifestants. Le pont Ambassador, entre Detroit et Windsor, point névralgique du commerce canado-américain, a subi le même sort.

À Ottawa, plusieurs des organisateurs du convoi de la soi-disant « liberté » étaient affiliés à l’extrême droite raciste canadienne1. D’autres – parfois les mêmes leaders d’extrême droite – envisageaient même de renverser le gouvernement élu quelques mois auparavant pour régner avec l’accord de la gouverneure générale, en vertu d’un protocole fumeux dénué de tout fondement factuel. Ils avaient couché sur papier le « protocole » qui allait remplacer le gouvernement élu2.

Au moment du recours à la Loi sur les mesures d’urgence, les barrages au poste frontalier de Coutts et au pont Ambassador avaient été démantelés par la police.

Dans ces deux cas, la solution était logistiquement plus simple à trouver qu’à Ottawa.

Car à Ottawa, des milliers de personnes occupaient le centre-ville, lui-même paralysé par des troupeaux de camions lourds. Tout ça au milieu d’un périmètre où des gens vivent et travaillent. La police d’Ottawa, une organisation qu’on aurait crue tout droit sortie de la série de films Police Academy, avait complètement perdu le contrôle de son territoire : un convoi lancé des jours avant, à des milliers de kilomètres, qui avait télégraphié ses intentions, a pu s’établir au centre-ville de la capitale fédérale sous l’œil bienveillant des flics…

Je rappelle que les entreprises de remorquage du coin refusaient de déloger les camions, par peur de représailles ou par sympathie avec la « cause » des occupants. Le gouvernement provincial de l’Ontario, lui, dormait au gaz, par incompétence ou par intérêt politique. Des enfants étaient plantés devant les manifestants, pour des raisons évidentes. Une injonction pour faire cesser les klaxons était bien sûr ignorée.

C’est dans ce contexte que le gouvernement Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence, la version révisée de la Loi sur les mesures de guerre (utilisée au Québec en 1970), jamais utilisée par Ottawa depuis son adoption en 1988.

La Loi sur les mesures d’urgence a donc permis de court-circuiter l’incompétence made in Ontario (police d’Ottawa, Police provinciale de l’Ontario et gouvernement de l’Ontario). La crise se serait-elle résorbée autrement ? Le PM Trudeau a plaidé que non.

Pendant des semaines, le juge Paul Rouleau a donc écouté des témoins donner leur point de vue sur les évènements (in English, mostly, but that’s another story). Des manifestants, des fonctionnaires, des résidants et des élus sont venus témoigner. Des documents ont été déposés, comme des textos entre ministres.

Les résidants d’Ottawa ont raconté leur calvaire, bien sûr banalisé aussitôt par les manifestants qui ont répété leur habituelle version hallucinée d’un Woodstock peace and love and libaaaaaaarté hivernal, version ottavienne. L’avocat des camionneurs à la commission Rouleau fut à leur image : rustre dans la forme, mince sur le fond. Il a trouvé le moyen de se faire expulser ET de se faire servir une mise en demeure pour avoir sali la réputation d’un homme qu’il a faussement accusé d’être un faux nazi (c’est compliqué, comme toujours avec ces gens-là) ayant infiltré les camionneurs… 

Quant à LA question essentielle, à savoir si le gouvernement Trudeau avait raison d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence en vertu des critères balisés dans ladite loi, il n’y a pas de réponse claire à tirer des arguments des élus et fonctionnaires fédéraux présentés devant le juge Rouleau. Ce sera au juge, justement, de pondérer chaque argument et de trancher.

Mais qu’importe la réponse, la Loi sur les mesures d’urgence ne contient aucune mesure punitive si un gouvernement l’a utilisée à mauvais escient.

Le prix à payer est politique. Si le gouvernement a outrepassé ses prérogatives, et qu’il est blâmé par la commission d’enquête, le peuple jugera.

J’ai dit le peuple, pas la foule.

La foule, c’était les gens venus se taper un Woodstock de la désinformation à Ottawa.

Le peuple, lui, a déjà tranché : 63 % des Canadiens approuvent le recours à la Loi sur les mesures d’urgence (73 % au Québec), selon un sondage Abacus3.

Qu’importe les conclusions du juge Rouleau, il n’y aura pas de prix politique à payer parce que dans le réel, là où les « camionneurs » ne résident plus, la cause est entendue : le gouvernement fédéral a eu raison d’utiliser la Loi sur les mesures d’urgence pour mater la foule.

1. Lisez « Le trumpisme canadien fait un tour de camion » 2. Lisez le protocole 3. Lisez « Loi des mesures d’urgence : un appui d’un océan à l’autre »