Cette fois, les négociations sur le statut des partis à l’Assemblée nationale vont au-delà de l’habituel tirage de couverture.

Une question fondamentale se pose : peut-on ajuster le budget et le temps de parole pour compenser les distorsions de notre mode de scrutin ?

La réponse courte : moins qu’on ne le croit. Difficile d’en corriger les travers sans créer de nouvelles iniquités.

L’année dernière, le gouvernement caquiste a rompu sa promesse de réformer le système électoral. Et en octobre, il est celui qui en a le plus profité. Avec 40 % des votes, il a récolté 72 % des sièges.

Pour réduire la pression, François Legault a promis d’accorder une meilleure place aux oppositions.

Au moment d’écrire ces lignes, les libéraux et les solidaires s’étaient entendus avec les caquistes. Seuls les péquistes ne s’étaient pas ralliés au compromis.

Ce n’est pas une surprise. Ils sont les plus sous-représentés à l’Assemblée nationale par rapport à leur nombre de votes. Et donc ceux qui ont les demandes les plus ambitieuses.

Initialement, je pensais qu’ils avaient été trahis par leurs adversaires. La réalité est plus nuancée.

Voici pourquoi.

Les élections de 2022 étaient atypiques. Les oppositions se sont presque parfaitement divisé le vote. Leurs récoltes de sièges étaient toutefois très différentes.

Il est normal que les sièges, le temps de parole et les budgets des partis à l’Assemblée nationale ne correspondent pas exactement à leur pourcentage de votes. Mais le règlement actuel va trop loin dans l’autre sens. Pour être reconnu, un parti doit obtenir 12 députés ou 20 % du vote. À l’ère du multipartisme, cela ne fonctionne plus.

Le leader parlementaire caquiste, Simon Jolin-Barrette, aurait pu bêtement appliquer le règlement, comme ce fut le cas notamment pour Québec solidaire (QS) en 2014. Mais il a accepté de négocier.

La reconnaissance d’un parti est un forfait. Différents éléments se négocient, comme le nombre de motions, d’interpellations et de questions posées au Salon bleu, les postes de vice-président et de président en commission parlementaire, le budget des députés, la création de cabinets de chef, leader ou whip, et enfin la représentation au Bureau de l’Assemblée nationale (BAN), où les députés gèrent le Parlement.

Tout cela fait partie des actuels pourparlers.

À deux reprises, M. Jolin-Barrette a bonifié son offre.

Selon la plus récente version, le Parti québécois (PQ) recevrait deux fois plus d’argent par député que QS en 2014.

Quand son chef se lèverait au Salon bleu, il le ferait donc en tant que meneur du troisième groupe d’opposition, avec 30 secondes additionnelles pour parler. Il pourrait aussi se former un cabinet, avec un petit budget pour y embaucher du personnel.

Et à la suggestion des libéraux, il pourrait poser une question lors de deux séances sur trois. Soit plus que ce que le règlement prévoit (environ une question toutes les deux séances).

Mais il voudrait idéalement en avoir une par séance. Et éliminer des tracasseries comme celle-ci : en étant reconnu chef, M. St-Pierre Plamondon doit soustraire de son budget parlementaire des frais encourus pour son bureau de circonscription. Quand on a 90 députés comme la CAQ, l’effet est marginal. Mais avec trois députés, il s’agit d’une baisse majeure.

Ces calculs sont basés sur le nombre de députés. Ils reproduisent la logique à la source des distorsions électorales.

Par exemple, en ayant reçu plus de votes que les libéraux, les péquistes ont près de dix fois moins d’argent, et ils poseront de cinq à dix fois moins de questions.

Le PQ propose d’allouer l’argent en tenant aussi compte du total de votes.

Une solution à étudier serait de créer une clause plancher. On reconnaîtrait qu’un budget de base est requis pour fonctionner à titre de parti de l’opposition, avec près de dix employés pour la recherche, les communications et le travail administratif. Un autre seuil minimal consisterait à réserver une question par jour pour chaque parti et un siège au BAN.

Reste qu’avec ce système, le PQ aurait trois fois plus d’employés que de députés. On peut se demander si leurs élus seraient capables de relayer ce travail de recherche.

Pour accorder une telle concession, il faudrait un critère objectif. S’il faut considérer le pourcentage de votes, où placer la barre ?

Le cas du Parti conservateur (PCQ) est plus facile à gérer. Il a échoué au critère minimal : élire un député. Difficile de lui accorder les ressources de l’Assemblée nationale s’il n’y a pas d’élu. Une compensation minimale existe déjà. En vertu du financement populaire des partis, le PCQ reçoit un chèque proportionnel à son nombre de votes.

Autant pour le PCQ que pour le PQ, il y a des limites aux ajustements pouvant être faits après le scrutin. Le vice original se trouve dans le mode de scrutin, et il est plus facile de prévenir les dégâts que de les nettoyer.