Sur la photo, Heri, 4 ans, émerveillé sous les flocons.

C’est sa première neige. Son premier habit de neige, aussi. Originaire du Mexique, il a atterri à Montréal en juin dernier avec sa famille, qui a demandé l’asile au Canada.

Le cœur de Danièle a fondu quand Dzoara lui a envoyé des photos de son fils mercredi.

Danièle est une infirmière de Brossard, à la retraite depuis peu. Depuis quelques années, elle tente d’aider comme elle le peut de nouveaux arrivants. Par l’entremise du site Refugee Claimant Donations Montréal, son chemin a croisé celui de plusieurs familles demandeuses d’asile, dont Dzoara, son mari et leurs quatre enfants.

Danièle les a aidés à s’installer, sollicitant son réseau pour trouver pour eux des meubles, de la vaisselle, des couvertures, des vêtements pour leur premier hiver… Comme l’habit de neige du petit Heri offert par une âme charitable.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Dzoara et son fils Heri, et Danièle, la « maman » d’adoption

Dzoara, qui était enseignante et photographe au Mexique, ne sait pas comment sa famille arriverait sans Danièle. Après cinq mois au pays, son mari, qui travaillait dans un garage dans son pays d’origine, vient tout juste de recevoir son permis de travail l’autorisant à décrocher un premier emploi. Elle, pas encore, à cause d’une erreur d’adresse. Résultat : jusqu’à présent, une fois le loyer payé, il ne leur restait pas un sou pour le reste du mois. Pour manger, ils ont dû s’en remettre à la banque alimentaire Partageons l’espoir à Pointe-Saint-Charles, pour laquelle Dzoara n’a que de bons mots.

Pour le reste, c’est le système D. D comme débrouille. D comme Danièle aussi, qui est un filet social à elle toute seule. Son garage croule sous les dons qu’elle redistribue. Elle essaie d’envoyer des photos aux donateurs pour les remercier. « Regarde l’habit de neige que tu as donné, la petite fille l’a sur le dos… Et les meubles de l’appartement de cette dame âgée hospitalisée, deux familles ont pu en bénéficier. »

Au-delà du soutien matériel, Danièle tisse des liens avec les familles qu’elle aide, les soutenant dans leurs démarches d’intégration.

« Grâce à Danièle, on se sent protégés, à l’abri, me dit Dzoara. On est tellement reconnaissants de pouvoir compter sur des gens généreux comme elle. » Cela lui permet d’entrevoir une lumière au bout de ce parcours difficile.

« Pourquoi tu fais tout ça pour nous, Danièle ? », lui a-t-elle déjà demandé.

Pourquoi ? Danièle est émue quand elle en parle. Elle n’est pas religieuse, précise-t-elle. Elle ne cherche pas la lumière non plus. C’est moi qui ai proposé de parler d’elle dans cette chronique et elle a juste accepté dans l’espoir que ça puisse sensibiliser davantage de gens au sort des réfugiés. Des humains qui ne demandent pas mieux que de s’intégrer et d’apprendre le français. Mais encore faut-il qu’ils puissent subvenir à leurs besoins fondamentaux.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Dzoara, demandeuse d'asile, Danièle, la maman" d'adoption, et le jeune Heri.

« J’ai rencontré des gens vraiment formidables, qui ont hâte de contribuer à notre société, de s’établir ici pour offrir une vie meilleure à leurs enfants. Ils veulent travailler et non dépendre de nous. »

À Dzoara qui lui demandait pourquoi elle fait tout ça, Danièle a répondu ceci : « Moi, si j’avais des enfants qui étaient obligés de quitter le pays pour être en sécurité, pour avoir un avenir, j’aimerais ça qu’une autre maman dans un autre pays prenne la relève. Moi, je suis ta maman de ce côté-ci de l’Amérique… Si tu es mal prise, tu m’appelles. Si tu as besoin de quelque chose, tu m’appelles. Je suis là comme une maman. »

Comment font les migrants qui n’ont pas la chance de pouvoir compter sur une maman de secours comme Danièle pour pallier les trous de plus en plus grands dans notre filet social ?

Comme en témoigne le reportage de ma collègue Suzanne Colpron, dans un contexte où les besoins sont de plus en plus grands et les ressources nettement insuffisantes, nombreux sont ceux qui se retrouvent dans des situations de précarité extrême. Les organismes communautaires manquent de tout. Des intervenants à bout de souffle sont aux prises avec une misère qu’ils n’avaient jamais vue auparavant. Une femme qui n’a pas mangé depuis quatre jours. Des familles dans le besoin à qui on doit dire, à regret : « Désolé ! Rappelez-nous en janvier… Notre liste d’attente déborde. »

On répétera sans doute qu’il faudrait fermer le chemin Roxham, car on ne peut pas « accueillir toute la misère du monde »…

Cette « solution » souvent brandie n’en est pas une, rappelle François Crépeau, professeur de droit à l’Université McGill et ancien rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme des migrants.

Si on ferme le chemin Roxham, tous ces gens qui sont dans des situations de grande précarité vont tout simplement trouver d’autres voies de passage.

Mettre des barrières ne donne rien. « Il n’y a aucune barrière qui ait fonctionné. Regardez l’Europe et la Méditerranée. Regardez la frontière sud des États-Unis. »

C’est tout le contraire qu’il faudrait faire. Ce à quoi on s’oppose en disant : « Oui, mais si on accueille bien ces gens, il va y en avoir d’autres… »

Bien sûr qu’il va y en avoir d’autres, souligne François Crépeau. D’abord, parce que ces gens ont besoin de venir. Ensuite parce que les employeurs ont besoin d’eux. « Et ils ont besoin d’eux dans la misère pour accepter des jobs à 5 $ ou à 7 $ l’heure, soit la moitié du salaire minimum. Dans les restaurants, dans les hôpitaux, dans l’agriculture, dans la construction… Il faut changer ça ! »

Alors quoi ? « La seule chose qu’on peut faire, c’est accueillir ces gens dignement », croit François Crépeau.

Comment ? J’y reviendrai.

Parce que non, Danièle et les autres mamans de secours n’y arriveront pas toutes seules.

Lisez « Chemin Roxham : Vers un record de 50 000 demandeurs d’asile »