C’est demain le grand jour du football. Le début de la Coupe du monde, le plus grand évènement sportif planétaire, après les Jeux olympiques. D’habitude, on regarde ça en touristes. En se joignant à nos amis français, italiens, espagnols ou brésiliens, selon que l’on aime boire du vin, manger des pâtes, de la paella ou danser la samba. C’est dépaysant.

Pour nous, le Mondial, c’est comme un festival, une occasion de sortir, de fraterniser, de faire la fête. On n’y connaît pas grand-chose, mais c’est pas grave. Pas besoin d’être un crack du jazz pour aller au Jazz, pas besoin d’être un fou du foot pour aller au Barouf. À côté de toutes ces communautés culturelles émotives et nerveuses, on est relaxes et peinards. Si la France gagne, on est contents. Si la France perd, on s’en balance. On s’en va célébrer à la choucroute avec les Allemands. Tout ce qui compte, c’est le party.

Pas cette année. Parce que cette année, le Canada en est. Pour la deuxième fois en 92 ans, on peut encourager notre pays. Oui, notre pays. Même Paul St-Pierre Plamondon peut prêter allégeance à cette équipe, puisque trois Québécois en font partie. Go Canada Go !

Ça change tout. Finie notre attitude de dandy au-dessus de ses affaires, qui trinque avec les gagnants pour les féliciter et retrinque avec les perdants pour les consoler. Puis appelle un taxi pour rentrer. Cette fois, on fait partie du show. On est impliqués. C’est une grosse responsabilité. Deux cent onze pays sont membres de la FIFA, seulement 32 peuvent se disputer les grands honneurs, il faut que les partisans concernés soient à la hauteur des joueurs qui ont réussi l’exploit de se qualifier.

Je sais qu’il y a plein de mes compatriotes qui connaissent leur foot autant que Ronaldo, mais il y en a aussi pas mal qui confondent Ronaldo avec Ricardo.

Faut dire qu’on part de loin. Combien parmi vous, chers lecteurs, quand vous avez lu le mot football, au début de cette chronique, pensaient qu’il était question de la Coupe Grey ? Soyez honnêtes. Il n’y a que deux endroits sur la Terre où le terme football ne désigne pas le sport qui se joue avec les pieds, mais un sport où le ballon est tenu en main : les États-Unis et nous.

Demain, de Toronto à Los Angeles, quand quelqu’un va demander : « As-tu regardé le match de football ? », on va lui répondre : « Oui, j’ai regardé les Argos ou les Rams ou les Blue Bombers ou les Eagles… » Mais personne ne va répondre qu’il a regardé l’Équateur. Parce que pour le nord de l’Amérique, c’est le Mondial de soccer. Soccer, quel nom pas rapport. Savez-vous pourquoi ça s’appelle comme ça ? Parce que lorsque les Anglais ont inventé le football, ils ont fondé l’Association Football. Et des premières lettres d’Association, a-s-s-o-c, est venu le diminutif soccer. Plate de même. C’est comme si on appelait le hockey ligue.

Alors pendant que les Italiens aficionados de foot bouderont l’absence de leurs représentants au grand rendez-vous, des néophytes canadiens pourront encourager leur équipe nationale de soccer. Profitons de notre chance. Le sport, comme la vie, prend tout son sens quand on y est sentimentalement investi.

Durant les prochains jours, les Alphonso Davies, Jonathan David, Atiba Hutchinson, Jonathan Osorio, Samuel Piette, Ismaël Koné et compagnie seront nos frères adorés. Et leurs efforts seront nos efforts. Et leurs faiblesses seront nos faiblesses. Et leurs victoires seront nos victoires. Et leurs défaites seront nos défaites.

C’est sûr que si le Canada perd tous ses matchs de premier tour, on va être déçus. Mais mieux vaut être déçu dans la parade qu’être amusé en dehors de la parade. Autant cette expérience fera grandir la jeune équipe canadienne, autant elle fera grandir les partisans que nous sommes.

Je sais que le CF Montréal est le principal facteur de l’engagement du public québécois pour le soccer. Mais l’incroyable rayonnement du Mondial convertira plein de nouveaux fans à la cause du ballon rond, la fibre patriotique atteignant même les plus indifférents. L’équipe-que-l’on-peut-encore-de-temps-en-temps-appeler-l’Impact bénéficiera de ses nouveaux fervents.

C’est mercredi que le Canada entrera en scène, en affrontant la Belgique. Ce ne sera pas facile. Ni pour nos joueurs ni pour nous. Les fans belges ont l’habitude de ces grandes compétitions. Ils vont se ressembler, habillés de rouge, puisque leur équipe nationale est surnommée les Diables rouges, buvant de la bière et mangeant des frites. Ce ne sera pas évident de se différencier de cette horde. Nous serons en rouge aussi, buvant de la bière et mangeant des frites. Prenons-les en poutine, ce sera déjà ça. Et essayons d’être les plus bruyants.

C’est notre premier Mondial stressé. Au moins, nous sommes les négligés.

On est loin de la pression que subiront Français, Allemands, Brésiliens et toutes les grandes puissances du foot. Nous, c’est juste un bon stress qui va rendre tout ça encore plus vivant ! Encore plus amusant.

Bon Mondial !