Nous entrons dans la saison des budgets municipaux et cette chronique est, en quelque sorte, une frappe préventive.

En effet, chaque fois que j’aborde la question des budgets municipaux, ce que je ferai dans ma prochaine chronique, je reçois toujours un certain nombre de réactions où l’on souligne l’écart des salaires entre les employés municipaux et les autres employés de l’État québécois. Selon des citoyens et des élus, cet écart devrait nous inciter à serrer la ceinture aux villes. Voyons-y de plus près.

D’abord, précisons que cet écart est réel. Selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), la rémunération des employés municipaux est de 39,5 % supérieure à celle des fonctionnaires du gouvernement du Québec. Il faut toutefois se méfier de la manchette et lire l’article au complet (ce que l’on devrait d’ailleurs toujours faire !).

La première nuance à faire est qu’on ne devrait jamais se comparer aux cancres. Selon la même étude, la fonction publique québécoise est en retard non seulement sur les villes, mais également sur le fédéral, le privé syndiqué et les entreprises publiques (Hydro-Québec, SAQ, SEPAQ, etc.), en fait sur tout le monde sauf le secteur privé non syndiqué.

C’est le vrai problème : le gouvernement du Québec a beaucoup de rattrapage à faire. Nous y reviendrons.

Voici quand même deux facteurs qui expliquent le niveau de rémunération dans les villes, facteurs sur lesquels les villes ont agi.

La spirale vers le haut

Le salaire des employés municipaux est théoriquement négocié. Théoriquement, parce que si les négociations sont rompues avec les pompiers et les policiers, ces derniers ont droit à l’arbitrage. Dans son jugement, l’arbitre doit tenir compte des conditions de travail en vigueur dans des municipalités semblables — c’est ce qu’on appelle le principe de l’équité externe. Donc, dès qu’une ville au Québec donne un avantage particulier à ses pompiers et à ses policiers, cela finit par se retrouver dans les conventions collectives de toutes les villes.

Mais ce n’est pas terminé. Dès que ça se produit, les autres syndicats de la ville exigent l’équité « interne », équité à laquelle il est logiquement difficile de s’opposer.

Conséquence : ce que l’arbitre a donné aux pompiers et aux policiers finit par rejoindre les conventions de l’ensemble des employés municipaux, et c’est ce qu’on appelle, la spirale vers le haut1.

Ce cadre de négociation, comme presque tous les aspects de la vie municipale, est défini par une loi québécoise. En effet, au sens de la Constitution canadienne, les villes sont des créatures des provinces, elles n’ont donc pas de champ de compétence propre comme les autres gouvernements. Elles doivent agir dans le strict cadre légal qu’on leur impose.

Malgré les revendications répétées des villes pour des changements législatifs au cadre de négociation, Québec n’a agi qu’en 2016. Il est tôt pour évaluer l’impact de la nouvelle législation, mais il devrait y en avoir un, la spirale devrait être freinée.

Régimes de retraite

Les régimes de retraite expliquent une grande partie de l’écart de rémunération2. Encore une fois, les villes ont longtemps demandé à Québec de leur permettre de rééquilibrer les cotisations employeurs/employés pour que le risque soit partagé non plus, par exemple, à 60/40, mais bien à 50/50. Il aura fallu les effets désastreux de la crise financière de 2008 et une grande mobilisation des maires pour que Québec agisse finalement, en 2014. Là aussi, il est trop tôt pour savoir à quel point cette mesure aura également un impact sur les comparaisons de rémunération globale à venir.

Les villes ont donc agi pour avoir les moyens de mieux contrôler leur masse salariale, l’avenir nous dira si elles auront fait bon usage des nouvelles lois.

La vraie question

Posons-nous maintenant la seule question qui compte vraiment. Est-ce vraiment un problème que les employés des villes aient une telle rémunération ?

Les villes affichent aujourd’hui un des plus faibles taux de roulement au Québec. Elles se sortiront certainement mieux que bien d’autres employeurs de la pénurie de main-d’œuvre.

Elles sont généralement reconnues comme de bons employeurs. Elles n’ont pas eu, en situation de crise, à hausser subitement les salaires de leurs employés.

Regardons maintenant ce qui s’est passé dans la fonction publique québécoise.

Le gouvernement a négligé les enseignants pendant des années et il a finalement dû leur accorder des augmentations de salaire variant entre 15 et 18 %. Même scénario avec les infirmières, où il a tellement laissé l’écart se creuser avec le privé qu’il a ensuite dû leur donner des primes considérables tout en augmentant leur salaire de base de 12 %.

Le faible salaire des éducatrices en service de garde fragilisait le réseau, elles ont eu droit à un rattrapage de 20 %. Même chose pour les préposés aux bénéficiaires, dont le gouvernement se félicitait d’avoir augmenté le salaire de 23 %.

Les crises que nous traversons ont bien démontré le rôle essentiel des employés de l’État et l’importance de leur donner de bonnes conditions de travail. Dans mon prochain texte, je parlerai des défis budgétaires des villes : le niveau de la rémunération des employés municipaux n’en fera pas partie.

1. Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), qui représente 70 % des employés municipaux, a une autre lecture de la situation.

Consultez l’analyse du SCFP 2. Lisez l’article « D’où vient la crise des régimes de retraite et comment la résoudre ? »