Les Américains votent mardi aux élections de mi-mandat et attachez vos tuques avec de la broche : le trumpisme risque de revenir en force.

En jeu : les 435 sièges de la Chambre des représentants, 35 sièges de sénateurs et 35 postes de gouverneurs dans les États. Les républicains sont en excellente position pour obtenir une majorité de ces sièges.

Trump a été éjecté de la Maison-Blanche après sa défaite de 2020. Mais ce n’était au fond la fin de rien, ni de lui ni – surtout – du trumpisme.

D’abord, le Big Lie est devenu une sorte de test de loyauté dans la famille républicaine. Le Grand Mensonge ? C’est cette fausseté perpétuée par la droite américaine en toute impunité : Trump s’est fait voler, disent-ils, l’élection de 2020…

Ce qui est rigoureusement faux. Mais le mensonge est dit, répété.

Et cru.

Les candidats républicains qui émettent un bémol là-dessus risquent leur carrière politique. Alors ils baisent la bague de Trump et de ses mensonges : 70 % des électeurs républicains croient au Big Lie, dopé à la désinformation et aux théories du complot.

Ce délire n’a pas commencé avec les réseaux sociaux qui relaient la désinformation de nouveaux acteurs numériques. Avant, il y a eu les racistes menteurs comme Rush Limbaugh1, qui a sévi pendant des décennies à la radio. Puis, il y a eu FOX News et ses campagnes de peur quotidiennes.

Des décennies de propagande et de mensonges sur les immigrants violeurs, sur les méchantes féministes, sur le manque de liberté aux États-Unis, sur le besoin de s’armer comme une milice libanaise pour aller chez Walmart, sur la guerre contre Noël et sur la destruction programmée de la race blanche…

À chaque investiture présidentielle, un coucou à la Pat Buchanan épousant ces vues faisait campagne pour devenir le candidat républicain à la présidentielle…

Et, chaque fois, il perdait.

C’est pour ça que Trump a été sous-estimé, en 2016 : les agitateurs en mal de visibilité dans son genre finissaient historiquement par ravaler leur modestie dans les primaires, autour du Super Tuesday.

Et là, les plaques tectoniques républicaines ont bougé, sans qu’on s’en aperçoive en temps réel : les républicains sont sortis en masse pour voter pour Trump, dans les primaires. Plus il lançait des énormités, plus il gagnait en popularité.

Insulter, déprécier, inciter ses fans à battre des protestataires dans ses rassemblements, traiter les Mexicains de violeurs, solliciter bruyamment l’aide de la Russie et cibler nommément tous les musulmans comme une menace existentielle : Trump a été couronné candidat républicain pour la présidentielle.

Vint la campagne présidentielle, justement. Trump va se ridiculiser contre Hillary Clinton, disait-on.

Trump a été lui-même, identique à sa version pré-nomination : national-populiste, mensonger, scandaleux, anti-science. Il a insulté la famille d’un soldat mort héroïquement sous les drapeaux, Humayun Khan, tabou absolu en politique américaine. Mais Khan était musulman : Trump n’a payé aucun prix politique pour ses insultes… Au contraire.

Et quand Trump a été embarrassé par de vieux extraits sonores jusque-là inconnus, où il se vantait de prendre les femmes par l’entrejambe sans leur demander la permission (« Grab them by the pussy »), là, les gros canons républicains l’ont largué à quelques jours de l’élection… Encouragés par des sondages qui donnaient Trump perdant.

Mais le soir de l’élection de 2016, à la faveur d’un caprice du système électoral américain (défaite claire dans le vote populaire, victoire au Collège électoral), Donald Trump est devenu président des États-Unis.

Et ceux qui l’avaient lâché, dans son parti, ont depuis baisé sa bague.

Et pendant quatre ans, Trump a libéré une parole. Créature de Twitter, il a abaissé le discours politique au niveau des trolls de Twitter. Et des millions d’Américains ont adoré et choisissent des républicains complètement enragés, comme Marjorie Taylor Greene. Le trumpisme, c’est ça : rager pour le plaisir de rager.

C’est ce qui va probablement revenir en force, mardi soir, la rage comme arme politique. Ces méthodes-là, qui ont plus à voir avec la Hongrie qu’avec la démocratie à la Jefferson.

La Hongrie ?

L’homme fort de ce pays, Viktor Orbán, déteste tout ce qui sort du moule Patrie-Famille-Jésus : il pourfend les gais, les transgenres, les immigrants, harcèle le journalisme indépendant, multiplie les crocs-en-jambe aux oppositions. Et la droite américaine adore Orbán2, FOX le célèbre ouvertement, après avoir célébré – pour les mêmes raisons, fuck les wokes – Poutine, avant l’invasion de l’Ukraine…

Les républicains gagnent en s’adressant aux tripes des Américains. En titillant leurs pires sentiments, oui, mais ils visent ça, les sentiments… Et ça marche.

Le Parti démocrate, lui, s’adresse aux Américains comme s’ils étaient tous diplômés de Harvard. Des faits, des arguments, du rationnel.

Le Parti démocrate est également incapable de générer des figures inspirantes, depuis Obama, depuis 2008. Tout ce que ce parti a pu trouver comme candidat à la présidentielle en 2020, c’est un vieux monsieur qui a été élu pour la première fois en… 1972.

Pourquoi s’inquiéter de ce qui se passe aux États-Unis ? Je cite une évidence : notre immense voisin forme encore le pays le plus influent de la planète. Ce qui s’y passe a des répercussions ici.

Et comme l’a dit Pierre Trudeau : la relation du Canada avec les États-Unis est celle de la souris qui dort avec un éléphant3.

L’éléphant américain est toujours aussi gros.

Et il est de plus en plus enragé.

1. Lisez « Talk Radio Is Turning Millions of Americans Into Conservatives » (NYT, en anglais) 2. Lisez « Why Trump and the GOP love Hungary’s authoritarian leader » (NBC News, en anglais) 3. Consultez « Sleeping with a very cranky elephant: The history of Canada-U.S. tensions » (CBC Radio, en anglais)