Je vous parlais de Léa Rose, la semaine passée. Une fillette de 4 ans, atteinte d’un syndrome rare, qui a besoin d’être branchée à des machines, la nuit. Une infirmière auxiliaire dépêchée par le CIUSSS passe six nuits par semaine à veiller Léa Rose.

Et là, la famille déménage à Laval. À 8 kilomètres de sa maison d’Ahuntsic. La famille a prévenu le CIUSSS trois mois à l’avance du déménagement pour éviter de perdre l’infirmière auxiliaire qui était tout à fait disposée à faire le même travail, à Laval…

Mais le jour du déménagement, début octobre, ça gossait encore au CISSS de Laval pour le transfert de l’infirmière dans la nouvelle maison de Léa Rose. Rien de réglé. Le CISSS et le CIUSSS mesuraient encore les petites cases.

Je rappelle que l’ange de Léa Rose s’était même fait embaucher dans une agence privée – à salaire moindre – le temps que le CISSS et le CIUSSS arriment leurs flûtes.

Et il y a une semaine, ben il y a eu « bris de service », selon la poésie fonctionnariale : pas d’ange aux côtés de Léa Rose pour la nuit de mercredi à jeudi, quand elle s’est fait dire par son agence privée qu’elle devrait se constituer en entreprise pour continuer à être payée (!).

J’en avais parlé vendredi, et je vous l’avais dit : c’est sûr qu’avec le bruit autour de cette affaire, grâce au statut Instagram de la mère, grâce à cette chronique, ça va se régler.

Ça s’est réglé.

Là où trois mois de formulaires, d’appels, de relances, de courriels n’avaient pas réussi, le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal et le CISSS de Laval ont fini par miraculeusement trouver le moyen d’embaucher l’infirmière auxiliaire de Léa Rose, pour la payer à faire le même travail, payé avec les mêmes taxes…

Je vous parle de Léa Rose et je regarde les urgences qui débordent.

Deux faces d’une même médaille, au fond, celle d’un système de santé brisé, dysfonctionnel.

En Outaouais, à Salaberry-de-Valleyfield, c’est pire : plus de 200 % de taux d’occupation. On empile les patients dans les salles d’urgence, qui ne sont pas faites pour ça. Et nous ne sommes pas encore dans le pic grippal qui submerge les urgences, l’hiver.

Les soignants qui s’épuisent, qu’on épuise. On manque de bras, donc les soignants qui restent sont à genoux. On peut donc passer jusqu’à 24 heures aux urgences. Capacité : plus de 120 %, c’est la moyenne provinciale…

Mais nous nous sommes habitués à cette médiocrité. Ça ne fait pas des années qu’on en parle, qu’on veut du changement, non : ça fait des décennies. Ça fait des décennies qu’on nous promet de rendre les urgences plus efficaces.

Tenez, prenez cette manchette, qui pourrait avoir été publiée dans un journal cette semaine : « Hôpitaux : Québec met de l’ordre dans les urgences ». Ç’a été publié quand, d’après vous ?

Le 11 mars, le 11 mars… 1980.

Mais on s’habitue. On s’habitue à l’idée que si on se tord une cheville un samedi soir, il faudra aller poireauter aux urgences pendant 6, 7, 8, 12 ou 15 heures. Peut-être 24…

N’oubliez pas votre fil pour brancher votre téléphone, du Tylenol et, pourquoi pas, une canne de Chef Boyardee.

Message reçu, hier, à propos d’un hôpital du Grand Montréal. Un citoyen veille son vieux père, qui a fait une chute et la chute l’a rendu embrouillé. Le père est dans un lit, mais il a envie. Il veut aller à la toilette. Il refuse obstinément de se soulager dans sa « culotte de confort », comme on dit pour ne pas dire une couche. Parce que le vieux a beau être embrouillé, il ne l’est pas assez pour avoir oublié sa dignité…

Le fils sonne pour avoir de l’aide : il ne veut pas aider son père seul, trop de risques de chute. Il sonne.

Il sonne encore.

Et encore.

Le fils a chronométré : ça a pris exactement 1 heure et 37 minutes avant que quelqu’un ne réponde.

C’est rien du tout, dans le grand ordre des choses : juste un vieux qui ne voulait pas pisser dans sa couche. Personne ne va mourir de ça, me direz-vous.

Mais c’est aussi un polaroïd qui dit tout sur ce qui ne va pas bien dans nos hôpitaux, dans le « prendre soin » : 1 heure et 37 minutes pour répondre à un appel à l’aide, dans une chambre d’hôpital.

Je ne blâme pas les employés. Ils répondaient à d’autres clochettes d’urgence plus urgentes, j’imagine.

Je repense à M. Legault, en campagne, qui défendait bec et ongles l’idée de ces CHSLD de luxe que sont les maisons des aînés : « Rien de trop beau pour nos aînés ! »

Sauf pour les aînés qui se retiennent de pisser dans un hôpital où il n’y a pas de ruban à couper, d’annonce à mousser dans un communiqué de presse.

Au fait, avez-vous remarqué que depuis 20 ans, trois ministres de la Santé sont devenus premiers ministres ? Philippe Couillard, Pauline Marois et… François Legault. La preuve qu’il n’y a pas de prix politique à payer pour ne rien régler en santé.

Je ne sais pas si ça en dit plus long sur le politique ou sur les Québécois, qui croient à chaque élection que là, ça y est ! ça va changer… 

Au fait, je repense aux gens qui poireautent dans les urgences. Quelqu’un a pensé leur demander ce qu’ils pensent des députés qui sont obligés de faire un serment d’allégeance au roi Charles III ? Me semble que je verrais un vox pop là-dessus, à la TV.

Long détour pour revenir au cas de Léa Rose, qui a finalement eu son infirmière auxiliaire, après des mois de gossage bureaucratique entre un CISSS et un CIUSSS voisins…

J’ai publié la chronique vendredi. Ce jour-là, l’infirmière a eu la confirmation : vous êtes embauchée. Un contact m’a signifié, aussi ce jour-là, que c’était déjà bureaucratiquement réglé, l’histoire de l’infirmière auxiliaire, quand j’ai publié… 

La chronique est sortie le 14.

La date de l’embauche de l’infirmière auxiliaire ?

Le mardi 11, lendemain du statut Instagram de la mère, jour où j’ai envoyé mes questions aux CISSS de Laval.

Traduction : le CISSS a embauché l’infirmière auxiliaire le mardi… mais l’infirmière auxiliaire ne l’a su que le vendredi.

Elle aurait pu être aux côtés de Léa Rose, mercredi. Mais le CISSS ne l’avait pas avertie de son embauche.

N’est-ce pas merveilleux d’absurdité ?

Le système de santé est un mammouth, un immense mammouth trop gros pour ne pas savoir que son arrière-train est un bumper de Lada.