Le 24 mai dernier, à 18 h 11, la ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge, a reçu un courriel au titre intrigant : « Hockey Canada Urgent Discussion Requested ». Le message, que j’ai obtenu, était succinct.

« Ici Tom Renney, président et chef de la direction de Hockey Canada. J’espérais pouvoir vous parler le plus rapidement possible, ministre St-Onge, d’une affaire sensible et urgente. Je reconnais votre emploi du temps extrêmement chargé, alors soyez à votre aise de me contacter directement au […] dès que vous le pourrez. Je suis dans l’attente de votre réponse. »

Hockey Canada venait de conclure en catimini un règlement à l’amiable, qui allait permettre à huit hockeyeurs de l’équipe nationale junior de 2018 d’éviter un procès pour viol collectif. Sans cette entente, les joueurs auraient été identifiés, et ils auraient dû répondre à des accusations d’agression sexuelle.

Revenons un instant à la courte lettre de Tom Renney. Notez son expression. « Une affaire sensible et urgente. »

C’est un choix de mots fascinant. Car dans toute la crise qui suivra, s’il y a deux choses dont Hockey Canada a manqué, c’est justement de sensibilité et d’urgence.

Pendant 140 jours, les dirigeants de Hockey Canada se sont entêtés à justifier l’indéfendable – avec mépris. Ils se sont mis à dos la population, des commanditaires, des fédérations provinciales, le NPD, le Bloc québécois, le Parti conservateur, le Parti libéral, la ministre des Sports et le premier ministre Justin Trudeau.

Pendant 140 jours, les patrons ont promis un nouveau souffle. Du changement. De la transparence. Dans la pratique, ils ont fait exactement le contraire. Ils ont remplacé le président démissionnaire du conseil d’administration, Michael Brind’Amour, par une alliée encore plus complaisante, Andrea Skinner. Ils mènent aussi une bataille judiciaire contre le gouvernement fédéral, pour l’empêcher de dévoiler des documents financiers de l’organisme. La raison ? Ça « nuirait à la position concurrentielle de [Hockey Canada] et lui causerait de graves difficultés ». Je souligne que Hockey Canada est la seule fédération nationale de hockey au pays…

Depuis 140 jours, les gestionnaires de Hockey Canada ont vu quelques-uns de leurs privilèges exposés au grand jour. Ici, un condo luxueux mis à leur disposition pendant sept ans, au centre-ville de Toronto. Là, un souper à 5000 $, ou des bagues de 3000 $ remises aux membres du conseil d’administration, après au moins un championnat du monde.

Depuis 140 jours, nous avons aussi appris l’existence d’un fonds de réserve pour couvrir les frais engagés dans les dossiers d’agressions sexuelles. Ce fonds était notamment alimenté par les cotisations des jeunes hockeyeurs.

Ce sont de très grosses bouchées à avaler en seulement 140 jours. La semaine dernière, la nouvelle présidente du conseil d’administration, Andrea Skinner, a dû défendre le bilan de son organisation devant des députés fédéraux. Appelée à évaluer le travail du nouveau président et chef de la direction, Scott Smith, elle lui a attribué une note de… A.

Comment peut-on manquer de sensibilité à ce point ?

Son témoignage – pitoyable – fut la goutte de trop. Celle qui a irrité même les partenaires les plus fidèles de Hockey Canada, comme Tim Hortons, Telus et Nike.

Andrea Skinner a remis sa démission samedi soir. Le reste du conseil et Scott Smith ont aussi quitté leurs postes, mardi matin.

Enfin.

Leur résistance était devenue futile.

Leur combat, dérisoire.

Leur victoire, impossible.

Ces départs étaient souhaités, souhaitables et nécessaires. C’est vrai, le Canada a gagné des médailles à la douzaine sous l’administration précédente. Le Canada est aussi le pays qui fournit le plus de joueurs à la Ligue nationale de hockey. Mais ces succès masquent une culture toxique imprégnée dans les programmes masculins d’élite.

Cette culture doit disparaître. Ça ne se fera pas demain. Ni après-demain. Ni dans un mois. Hockey Canada en a pour des années à payer les pots cassés.

À court terme, il existe au moins quatre enquêtes actives, à propos d’allégations d’agressions sexuelles visant des joueurs des équipes nationales. La police de London, la LNH et Hockey Canada enquêtent chacune de leur côté sur les évènements de 2018, qui ont conduit au règlement à l’amiable avec la plaignante. La police de Halifax, elle, se penche sur un viol collectif présumé auquel auraient participé des joueurs de l’équipe nationale junior de 2003.

Hockey Canada se prépare également pour un important procès. Un ancien hockeyeur, James McEwan, accuse la fédération et la Ligue canadienne de hockey de négligence, pour avoir « perpétué un environnement ayant permis et encouragé les bagarres et la violence chez des mineurs qu’ils avaient l’obligation de protéger ».

Dans les milieux politiques, à Ottawa, plusieurs sont convaincus que c’est pour se protéger dans le cadre de poursuites semblables que Hockey Canada veut empêcher le gouvernement de remettre ses documents à un citoyen qui en a fait la demande, par la Loi sur l’accès à l’information.

Aussi, a-t-on fini de déterrer les petits secrets et privilèges des dirigeants de Hockey Canada ? Les députés fédéraux sont résolus à poursuivre le travail entamé l’été dernier devant le Comité du patrimoine. Ils ont la volonté et les ressources pour aller jusqu’au bout de l’histoire.

Tout ça est déprimant, j’en conviens. Heureusement, il reste une bonne nouvelle dont je veux vous faire part.

Dans son témoignage, la semaine dernière, Andrea Skinner affirmait s’inquiéter d’une démission en bloc de l’équipe de direction et du conseil d’administration de Hockey Canada. « Je pense que cela aura un impact très négatif sur nos garçons et nos filles qui jouent au hockey. Les lumières resteront-elles allumées à l’aréna ? Je ne sais pas. Nous ne pouvons pas le prédire, et pour moi, ce n’est pas un risque qui vaut la peine d’être pris. »

Je reviens de l’aréna.

Les ampoules fonctionnent toujours.

Qui sont-ils ?

Tom Renney : président et chef de la direction jusqu’au 1er juillet 2022

Scott Smith : président et chef de la direction du 1er juillet au 11 octobre 2022. Ancien chef des opérations.

Michael Brind’Amour : président du conseil d’administration jusqu’au 5 août 2022

Andrea Skinner : présidente du conseil d’administration du 9 août au 8 octobre 2022. Membre du conseil depuis 2020.