Au Canada, les criminels qui purgent une peine fédérale peuvent être incarcérés dans la prison qui correspond à l’identité de genre de leur choix. Peu importe leur sexe biologique. Qu’ils aient subi une opération ou pas.

Ce n’est pas un problème en soi. Au contraire, c’est une solution pour les détenues transgenres incarcérées dans des prisons pour hommes, où elles risquent d’être victimes d’intimidation, de violence et d’agression sexuelle.

Ces personnes vulnérables ne sont pas à leur place dans l’impitoyable univers carcéral masculin. D’où l’importance de la directive du Service correctionnel du Canada (SCC), qui stipule que les détenus peuvent être placés « dans un établissement pour hommes ou pour femmes, si c’est leur préférence, peu importe le sexe (c’est-à-dire leur anatomie) ».

Mais pour que la solution ne se transforme pas en problème, justement, il faut éviter les dérapages. Éviter, surtout, que des détenus profitent de cette directive pour tenter d’adoucir leur peine.

Malheureusement, ces dérapages existent, a révélé samedi l’enquête troublante de Tristan Péloquin.

Lisez l’enquête « Cohabitation controversée »

Mon collègue a raconté l’histoire de Steven Mehlenbacher, un criminel violent qui a écopé de 14 ans de pénitencier. Au bout de 10 ans, Steven est devenu Samantha. Elle a été transférée dans une prison pour femmes de l’Ontario, où elle a semé la terreur parmi ses codétenues. Le 27 juin, Samantha a plaidé coupable à une accusation de harcèlement criminel. En vertu d’une entente avec la Couronne, une seconde accusation — d’agression sexuelle, celle-là — a été abandonnée.

Je ne sais pas si Samantha se considère réellement comme transgenre. Et les autorités carcérales ne le savent peut-être pas davantage. Comme le souligne Tristan Péloquin dans son reportage, elles n’ont pas à évaluer la sincérité des prétentions des détenus. Ces derniers n’ont qu’à se dire transgenres pour être considérés comme tels.

« On ne peut pas totalement faire fi du fait que la manipulation est un motif possible pour lequel le détenu de sexe masculin pourrait exprimer son désir de vivre comme une transgenre », a prévenu l’enquêteur correctionnel Ivan Zinger, l’ombudsman des détenus, dans son rapport 2018-2019.

Ce risque de manipulation est sans doute très faible. N’empêche, il n’est pas complètement farfelu de penser que certains délinquants puissent trouver un avantage à passer leurs années de taule dans l’univers relativement moins austère d’une prison pour femmes.

Ces délinquants pourraient aussi avoir avantage à changer de nom, afin de bénéficier d’une identité civile vierge à leur sortie de prison. Le SCC ne s’y oppose pas. Au contraire, il leur facilite la tâche, enjoignant aux agents de libération d’« aider les délinquants à remplir leur demande de changement de nom légal ».

On se fie décidément beaucoup à la bonne foi des criminels dans les pénitenciers fédéraux. Ça ne s’arrête pas à l’identité trans. Loin de là.

Les criminels n’ont par exemple qu’à se déclarer métis pour bénéficier de privilèges réservés aux détenus autochtones. Pas besoin d’appartenir à une communauté ni même de fouiller leur arbre généalogique pour se trouver un lointain ancêtre autochtone. Il suffit de le déclarer, et voilà.

Lisez l’enquête « Des autochtones autoproclamés plein les prisons »

Pour le détenu, cela donne droit à de meilleures conditions, comme une cellule individuelle. Ça peut même s’accompagner d’une révision à la baisse de la cote de sécurité, ce qui signifie une possible libération conditionnelle anticipée.

Pas étonnant qu’un paquet de criminels se soient autodéclarés autochtones au cours des dernières années…

Et tout le monde fait comme si c’était normal.

En 2019, la Commission des libérations conditionnelles est allée jusqu’à prendre en considération les « antécédents sociaux autochtones » du Hells Angel Ghislain Vallerand.

S’il avait sombré dans la criminalité, voyez-vous, c’était peut-être en raison du « sentiment d’injustice » qui l’habitait face aux mauvais traitements que les autorités canadiennes avaient fait subir à ses ancêtres autochtones.

Le motard de Sherbrooke n’était pourtant associé à aucune communauté. Il n’avait jamais vécu dans une réserve et n’avait jamais subi les répercussions des pensionnats. Bref, il n’était pas autochtone.

On se croirait dans Les habits neufs de l’empereur, ce conte de Hans Christian Andersen où deux escrocs prétendent tisser une étoffe que seuls les idiots ne peuvent pas voir. Bien sûr, tous les membres de la cour vantent la beauté de l’étoffe. Personne ne veut se faire taxer d’idiotie.

Aujourd’hui, personne ne veut se faire taxer d’intolérance. Envers les Autochtones. Envers la communauté trans. Alors tout le monde se tait. Et parfois, des petits malins en profitent.

Depuis une dizaine de jours, les images d’une enseignante d’une école secondaire ontarienne mettent le feu aux réseaux sociaux.

Sur ces images virales, prises par des élèves, l’enseignante transgenre est affublée de prothèses mammaires surdimensionnées. Une impossibilité anatomique aussi absurde qu’obscène, couronnée par d’énormes mamelons visibles à travers des vêtements moulants.

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET REDUXX.INFO

Enseignante transgenre d’une école secondaire ontarienne qui a fait polémique en raison de ses prothèses mammaires surdimensionnées

Réflexe de la commission scolaire : circulez, il n’y a rien à voir. Tout est parfaitement normal. Il faut célébrer la diversité de genre. Faire preuve de tolérance.

Évidemment, l’affaire a été récupérée par la droite ultraconservatrice. Sur Twitter, Donald Trump Jr. s’est amusé à comparer les seins de l’enseignante à ceux de sa sœur (!!) Ivanka. Sur Fox News, le sinistre Tucker Carlson n’a pas hésité à utiliser cette histoire pour s’attaquer à l’ensemble de la communauté trans.

Tristement, inévitablement, cette étrange affaire contribue à alimenter la haine contre les personnes trans, qui n’ont rien demandé, sinon qu’on les laisse vivre en paix. C’est précisément pour ça qu’il faut dénoncer les dérapages. Ça ne sert pas la cause, faire comme si de rien n’était. Quand le roi est nu, il faut le dire.