Brigitte Jobin avait rassemblé tout son courage, jeudi matin. Une fois de plus, elle ferait face à son bourreau, dans une salle d’audience du palais de justice de Montréal.

Une fois de plus, elle se retrouverait dans la même pièce que cet ancien combattant d’arts martiaux mixtes, un homme tout en muscles, manipulateur et contrôlant, qui l’a battue pendant des mois, qui l’a violée à la pointe d’un couteau, qui lui a brisé des côtes, qui l’a étranglée au point de lui faire perdre connaissance, qui l’a forcée à tatouer son nom sur sa peau, comme pour la marquer, comme si elle lui appartenait.

Même si cet homme-là croupit en prison depuis cinq ans, Brigitte Jobin en a toujours terriblement peur. Ça se comprend. Et pourtant, quand elle l’a vu entrer dans la salle d’audience, elle s’est retenue pour ne pas… éclater de rire. « Il est arrivé en cour avec des grosses lunettes à la Elton John. Je n’y croyais pas du tout ! »

C’est que, voyez-vous, Jody Matthew Burke veut éviter que le Tribunal lui colle une étiquette de délinquant dangereux.

Il semble prêt à tout pour éviter de recevoir une peine à durée indéterminée, l’une des plus sévères du Code criminel, réclamée par la Couronne.

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Jody Matthew Burke

Alors, désormais, il veut qu’on l’appelle Amber1.

Brigitte Jobin a dû attendre quatre ans avant que son ex-conjoint hyperviolent soit enfin reconnu coupable de huit chefs d’accusation, dont agression sexuelle armée et menaces de mort, en mai 2021.

En quatre ans de procédures, Burke est passé maître dans l’art de faire traîner les choses. Il a embauché huit avocats, avant d’insister pour se représenter seul. Il a fait défiler 20 témoins à la barre, tous moins pertinents les uns que les autres. Quand il a changé sa stratégie de défense, le tribunal lui a donné l’occasion de témoigner à nouveau.

Le juge Jean-Jacques Gagné a été patient. Très patient. Dans sa décision, il note tout de même que tout cela a été une « mauvaise utilisation des ressources » du tribunal…

Malheureusement, le gaspillage n’est pas fini.

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Brigitte Jobin

« L’histoire de dysphorie de genre, pour vrai, je ne l’avais pas vue venir, confie Brigitte Jobin. Je m’étais imaginé plein de scénarios qu’il pourrait inventer, mais celui-là, c’est sorti de nulle part, et c’est l’ultime tentative » pour obtenir une peine moins sévère, croit-elle.

Avant Montréal, Jody Matthew Burke avait été condamné pour des crimes sexuels à Vancouver et en Ontario. Brigitte Jobin espère que le juge Gagné se rangera aux arguments de la Couronne et le déclarera délinquant dangereux, pour l’empêcher de faire d’autres victimes.

De son côté, Burke prétend qu’il n’aura pas autant besoin d’être contrôlé grâce à l’hormonothérapie. Ça semble tiré par les cheveux, comme ça, mais un psychiatre de l’Institut Pinel a témoigné que le risque de récidive pourrait effectivement être atténué s’il devenait une femme.

C’est un gros « si ». Pour l’instant, Burke n’a pas commencé le moindre traitement d’hormonothérapie.

« Il dit qu’il va se faire battre et qu’il va se faire ridiculiser en prison s’il se féminise », raconte Brigitte Jobin, incrédule.

Non seulement Burke n’a pas commencé ses traitements, mais pour « garder la forme en détention », il prend… de la testostérone !

Cette invraisemblable histoire est d’autant plus choquante qu’elle risque d’alimenter le discours de ceux qui laissent entendre que les personnes trans ne sont pas dignes de confiance – surtout pas lorsqu’elles s’immiscent dans les toilettes ou les vestiaires des femmes.

Ce serait désolant, mais pas très surprenant en cette époque où les droits des personnes trans sont attaqués, parfois férocement, aux États-Unis et ailleurs.

Mais il ne s’agit pas de cela, ici.

Ici, il s’agit d’un prédateur, condamné pour une série de crimes graves, qui prétend désormais s’identifier comme femme dans l’espoir d’obtenir la clémence d’un juge.

Pour Brigitte Jobin, tout ça est cousu de fil blanc. Burke lui a trop menti, il l’a trop souvent manipulée pour qu’elle puisse le croire. Pour la piéger dans une relation toxique, il lui a tout caché : son passé violent, ses crimes sexuels, même son véritable nom.

Ça ne s’est pas arrangé en cour. « Le témoignage de l’accusé est intrinsèquement improbable. Non seulement il est improbable, mais il relève parfois de la fiction », tranche le juge Gagné dans la décision de mai 2021. Aussi : « Il est absorbé par les fantasmes et a une perception complètement irréaliste des évènements. » Et encore : « Il ne témoigne pas honnêtement et fournit d’innombrables détails non pertinents. »

Bref, Jody Matthew Burke raconte très souvent n’importe quoi.

Remarquez, peut-être que, pour une rare fois, il dit la vérité. Peut-être qu’un jour, on l’appellera Amber. Ça ne change rien au fait qu’il doit être traité pour ce qu’il est : un récidiviste dangereux.

1. Lisez l’article « Un délinquant sexuel dangereux plaide être une femme »