On dirait qu’on assiste à l’implosion de la démocratie américaine en direct, au ralenti.

Et comme on est accoté dessus, veux, veux pas, ça n’annonce rien de bon pour nous, ni pour ce qu’on appelait « le monde libre ».

Mesdames et messieurs, l’ancien président des États-Unis est soupçonné d’avoir violé la loi sur l’espionnage. Pas forcément en donnant des informations à l’ennemi. Peut-être simplement en étant négligent ou en détruisant des documents hyperdélicats.

Mais la police fédérale a sorti 11 séries de documents confidentiels, top secret ou top top secret de chez lui. Y a-t-il une seule justification pour les avoir eus en sa possession ? Évidemment non.

La perquisition a été autorisée par le procureur général Merrick Garland en personne, vu la gravité historique de l’évènement.

Je rappelle que Garland était le choix de Barack Obama pour remplacer Antonin Scalia comme juge à la Cour suprême, vu sa réputation de « centriste », peu marqué politiquement.

Mais qu’importe. Pensez-vous que cet homme veut passer à l’histoire comme ayant autorisé la première perquisition à la résidence d’un ancien président sans bons motifs ? Pensez-vous qu’il n’est pas conscient, dans le climat agressif et complotiste actuel, des conséquences graves d’une perquisition qui ne serait pas bien fondée, ou qui serait faite pour des motifs obliques ?

La raison pour laquelle des fouilles dans la maison d’un ex-président doivent être autorisées à son niveau, c’est justement parce qu’on doit considérer leur impact politique. Il faut évaluer les risques, l’importance des enjeux juridiques et de sécurité. Autrement dit, on n’est pas devant une infraction mineure à un règlement sur l’entreposage de documents officiels…

Merrick Garland savait très bien ce qui arriverait après cette perquisition : les rallyes, les drapeaux, les protestations outrées. Trump allait contre-attaquer. Dénoncer la politisation de la justice et du FBI.

La seule manière de contrer ces attaques, c’est avec un dossier en béton. C’est-à-dire des preuves. Des témoins fiables.

Aux États-Unis comme chez nous, avant d’entrer de force chez quelqu’un, il faut un mandat de perquisition. Et pour obtenir ce mandat, il faut démontrer qu’on a des motifs. Qu’un crime a été commis, d’abord. Et que pour résoudre ce crime, il est nécessaire de violer la vie privée d’une personne en entrant de force dans sa résidence.

Pour faire cette démonstration, la police produit un « affidavit », qui est une déclaration sous serment résumant l’enquête et la preuve. Sur cette base, le juge délivrera ou pas le mandat. C’est souvent une formalité. À ce stade, il suffit de remplir les critères. La fouille ne donne pas toujours de résultats, et les résultats ne donnent pas toujours lieu à une accusation.

Mais dans un cas aussi incroyablement explosif, personne n’a droit à l’erreur. Il y a une obligation de résultat de la police, du procureur et du juge. Personne ne veut être le maillon faible de la chaîne. Les questions sont posées et reposées 5, 10, 25 fois.

Dans ces conditions, il faut non seulement que la perquisition soit justifiée, il faudra qu’elle donne lieu à une accusation grave contre Donald Trump.

En attendant, ce ne sont pas seulement les réseaux complotistes ou d’extrême droite qui se déchaînent contre le FBI. Ce sont plusieurs élus républicains. Des sénateurs. Des représentants.

Ces gens sont en train de dire que la police fédérale est « corrompue », qu’elle a peut-être fabriqué de la preuve contre Trump au profit des Chinois. Que c’est une opération politique antiaméricaine.

On parle quand même d’un ex-président parti avec des secrets (sur l’arsenal nucléaire notamment) qui ne doivent même pas être consultés hors de la Maison-Blanche ou de certains lieux hypersécurisés.

Mais par un renversement pervers (et génial) des faits, des politiciens très officiels sont maintenant en train de dire qu’une puissance étrangère a peut-être généré cette enquête. Au point de dénigrer toute la police fédérale, et la justice avec elle.

Un fan de Trump, grand utilisateur de son « réseau social », en a appelé à tuer les agents fédéraux. Il a été abattu en se rendant près d’un établissement du FBI, armé.

Ce qui a été rendu public vendredi, c’est le type de documents saisis et les lois en vertu desquelles le FBI enquête. Je serais étonné que le dossier sur Emmanuel Macron soit terriblement secret. Mais les documents hautement secrets, que contiennent-ils ?

La réponse ne peut venir que devant une cour de justice. Un endroit où chaque affirmation doit être appuyée.

Le hic, c’est que le travail de sape est allé tellement loin qu’une grande partie du public continuera à suivre et à croire Trump, contre toute évidence.

C’est pour ça que cet évènement dépasse la querelle partisane. Ce qui est en jeu, c’est le système politique américain lui-même. Un système que, malgré tout ce qui a pu arriver de croche depuis la première élection en 1788, personne n’avait remis en question aussi fondamentalement.

C’est pour ça, aussi, qu’on doit craindre que ce soit laid, très laid. Et qu’ici même on en paie le prix.