Quand les urgences de Senneterre ont fermé le soir et la nuit l’an dernier, une crise politique a éclaté. Les gens de ce village de 3000 personnes en Abitibi qui avaient le malheur d’être malades en dehors des heures d’ouverture (8 h à 16 h) devaient rouler 30 ou 45 minutes pour se rendre à Val-d’Or, sinon une heure pour Amos. Les services d’ambulances devenaient compliqués.

Un homme est mort en chemin vers l’hôpital.

Pendant ce temps, dans quatre des sept villages du Nunavik plantés du côté de la baie d’Hudson, il n’y a plus de services de santé. On peut prendre en charge des urgences, et encore. Quatre des sept dispensaires locaux sont carrément fermés. Dans l’un d’eux, seule une infirmière veille, rapportait mercredi ma collègue Ariane Lacoursière.

Tous ces villages inuits dans le nord du Nord québécois sont isolés. On ne peut pas se rendre au suivant autrement que par avion — ou en skidoo l’hiver, à la rigueur. Il n’y a pas de plan B pour plus de 5000 personnes.

Mais il a fallu que les gens là-bas réclament l’armée pour être entendus.

Pas question de ramener l’armée (à deux mois des élections), a tranché François Legault.

Pour une fois, un ministre important se rendra sur le terrain. Christian Dubé a annoncé qu’il y serait « dans les prochains jours ».

Le problème ne se réglera pas par une visite du ministre de la Santé. Mais il faut aller sur place pour commencer à comprendre dans quelles conditions de vie sont confinés les Inuits du Québec.

Il ne manque pas seulement de personnel pour soigner les gens. Il en manque pour presque tous les services. Il manque surtout de logements, et l’on vit souvent à 10 ou 12 dans des espaces qui devraient loger une famille de quatre.

C’est vrai, il manque de personnel dans tous les hôpitaux du Québec, donc à plus forte raison dans des villages aussi éloignés. On ne fait pas la file pour aller y travailler, même en rotation.

Mais au point de devoir recourir à la Croix-Rouge, comme si une catastrophe imprévisible avait frappé la région ?

C’est plus que gênant. C’est une honte nationale.

Le gouvernement de la CAQ n’est pas plus à blâmer que tous les autres. Il ne manque pas de rapports sur les déficiences des services sociaux, de santé ou de justice dans le Nunavik depuis 50 ans.

On peut même mettre au crédit de l’actuel gouvernement d’avoir mandaté un « rapporteur spécial », qui vient de produire un document très concret, personnel même, sur la justice dans cet immense territoire où moins de 15 000 personnes vivent dans 14 villages.

Jean-Claude Latraverse a travaillé 20 ans dans la région comme avocat, d’abord en défense, puis comme procureur du DPCP. Il a habité plusieurs années à Kuujjuaq. Il connaît le terrain et les gens.

Malgré tout, dans ses consultations, il s’est fait dire que toutes les promesses d’aide faites par le gouvernement ne valaient rien, et que ce système auquel il croyait n’avait jamais accueilli vraiment les Nunavimmiuts — les résidants du Nunavik.

Je dois dire que ce fut tout un choc même si ce n’était pas une révélation. Le choc venait surtout du fait que j’ai fait partie d’un système inadéquat, aux bases coloniales et qui maintient une certaine forme de racisme, et que ce n’est qu’avec du recul que je le réalise.

Jean-Claude Latraverse, rapporteur spécial

Comme par hasard, au moment où M. Latraverse rendait son rapport, on apprenait que des dizaines de causes étaient reportées, faute de juge pour aller faire la tournée judiciaire. Elles risquent d’être carrément abandonnées.

Apparemment, même dans cette situation d’urgence, la Cour du Québec n’a trouvé personne pour aller rendre la justice. Est-ce que vraiment la Cour a fait l’impossible pour rendre ces services de base ? J’en doute.

Comment pensez-vous que cette justice peut être prise au sérieux ?

M. Latraverse note qu’au Nunavut (extrême Nord canadien), le mot inuktitut pour désigner les juges signifie « ceux qui parlent de ce qui est arrivé il y a longtemps ».

C’est vrai, les besoins sont immenses. En une seule année, sur une population de 12 362 personnes, 1356 ont fait face à une accusation criminelle — plus de 10 fois plus que la moyenne québécoise. Les signalements à la Protection de la jeunesse atteignent des proportions effarantes — souvent un enfant sur deux — négligence, abus, violence sur fond d’alcool et de stupéfiants.

Raison de plus pour empêcher coûte que coûte les ruptures de service. Et pour adapter la justice à la réalité locale.

L’avocat fait 60 recommandations très sensées au ministre Simon Jolin-Barrette, mais aussi aux dirigeants locaux et aux juges. J’ai quand même l’impression de réentendre ce qu’on me disait dans les années 1990, quand j’interviewais les juges « itinérants » qui voyaient bien que cette justice venue du Sud n’était pas adaptée et roulait souvent à vide.

Si en plus elle n’est tout simplement pas rendue par ceux qui prétendent la dispenser, c’est qu’encore une fois on a laissé tomber le Nunavik, même pour le strict minimum humain.

Lisez notre reportage : « Pénurie de personnel de santé au Nunavik : l’armée réclamée » Lisez notre article « Nord-du-Québec : un système judiciaire jugé “inadéquat” »