De son sous-sol, Louis Sansfaçon se bat à la mémoire de sa fille Émilie. Un dur combat contre l’indifférence alors que la fatigue pandémique et le relâchement des mesures sanitaires ajoutent un poids énorme sur les épaules des personnes immunosupprimées et vulnérables.

« Elle et moi, on s’est toujours battus pour les droits des plus vulnérables. Je lui ai promis d’aller le plus loin possible. »

La promesse est née un matin d’automne pandémique. Louis Sansfaçon marchait avec sa fille Émilie, atteinte d’un cancer colorectal, vers l’Hôtel-Dieu de Québec. La jeune mère devait y recevoir son 35traitement de chimiothérapie. Ils ont croisé un passant qui ne portait pas de masque. Émilie s’est raidie, terrorisée à l’idée que la COVID-19 menace davantage sa vie et lui arrache un temps précieux auprès de ceux qu’elle aimait.

Si cet inconnu avait pu savoir d’un seul coup d’œil que la jeune femme devant lui était en train de se battre pour sa vie, sans doute aurait-il fait plus attention. Elle en a fait la remarque à son père.

Papa, il faudrait que tu inventes quelque chose pour lui dire : fais attention à moi.

Émilie Sansfaçon

C’est ainsi que Louis Sansfaçon a créé avec sa fille l’Immunoclip, une épinglette arborant un simple « i » rouge que toute personne vulnérable peut fixer sur son masque comme un appel à la bienveillance1. Une façon pour Émilie de dire : « Si vous me transmettez un virus, je me retrouverai rapidement à l’hôpital et probablement aux soins intensifs. Je pourrais même en mourir. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Louis Sansfaçon tient une photo de sa fille, Émilie.

Émilie n’a malheureusement pas vécu assez longtemps pour voir le projet se concrétiser. Elle a été emportée par la maladie le 5 novembre 2020. À 31 ans, elle avait compris « que la vie est un privilège, la santé est fragile et l’amour ne triomphe pas toujours », a écrit Louis Sansfaçon dans une lettre émouvante lui rendant hommage2.

La voix du père s’enroue en en parlant. « Émilie, j’ai toujours été à ses côtés. Et même si elle n’est plus là aujourd’hui, je sens qu’elle est à côté de moi aussi à sa manière. »

Après avoir lancé son projet au printemps 2021, en collaboration avec plusieurs fondations et pharmacies, Louis Sansfaçon a réussi à susciter un certain intérêt médiatique et un petit élan de solidarité. Il a déjà amassé plus de 50 000 $, remis à des œuvres caritatives pour la prévention du cancer et les soins aux patients, grâce à la vente de plusieurs milliers d’Immunoclip. Mais il a encore bien du chemin à faire. « Jusqu’à présent, nous sommes dans 60 pharmacies au Québec. Il y en a 1800… » Derrière ce petit « i », il y a beaucoup d’amour, de solidarité et d’empathie, souligne-t-il. « Mais si ce “i” n’est pas connu, il n’est pas si efficace que ça. »

Au nom de sa fille, le père a interpellé le gouvernement Legault pour qu’il l’aide à faire connaître l’initiative, comme le premier ministre l’avait fait avec les masques à visière transparente permettant de lire sur les lèvres. Il a frappé à plusieurs portes, dont celle du ministre de la Santé, Christian Dubé. En vain.

« Ce n’est pas sexy de porter un masque en ce moment. Surtout en situation préélectorale… »

Pourtant, dans un contexte où il n’y a justement plus d’obligation de porter le masque dans les transports publics ou à l’épicerie, ne devient-il pas plus pertinent encore d’en faire davantage pour protéger les plus vulnérables ?

Qu’est-ce qui motive ce refus ? « Dans un contexte où de nombreux messages sont véhiculés par la Santé publique, pratiquement sur une base quotidienne, il a été jugé que demander aux personnes immunosupprimées de porter ce symbole serait une approche très ciblée. Nous devons plutôt centrer le message sur le respect des consignes sanitaires auprès des personnes vulnérables, qu’elles soient âgées ou immunosupprimées », m’explique Marjaurie Côté-Boileau, directrice des communications au cabinet du ministre Dubé.

PHOTO FOURNIE PAR LOUIS SANSFAÇON

Émilie Sansfaçon et son père, Louis Sansfaçon

Même si l’indifférence du gouvernement le déçoit, Louis Sansfaçon n’entend pas baisser les bras. C’est sa fille qui l’inspire. « Émilie, c’était une battante. Si elle était passée à travers, je peux vous dire une affaire : le “i” serait connu en batinse ! Je m’inspire de sa détermination autant devant la maladie – qu’elle aurait voulu vaincre évidemment – que dans ses prises de position. »

Le déni et l’indifférence face au sort des personnes vulnérables après plus de deux ans de pandémie ne sont pas propres au Québec. On observe le même phénomène dans bien des sociétés occidentales où « vivre avec le virus » veut trop souvent dire « laisser mourir les plus vulnérables avec le virus ». Ce qui ne rend pas la chose plus acceptable pour autant.

Les personnes immunosupprimées et vulnérables qui paient le prix de la gestion « chacun pour soi » du risque sont beaucoup plus nombreuses qu’on peut le croire, rappelle le DAndré Veillette, chercheur en immunologie et oncologue. Selon Statistique Canada, 14 % de la population a un système immunitaire affaibli et 18 %, un problème de santé sous-jacent comme le diabète ou une maladie chronique touchant les poumons, le cœur ou les reins, ce qui accroît le risque de complications liées à la COVID-193.

Dans l’ensemble, ce sont 38 % des adultes au pays qui ont au moins un problème de santé sous-jacent lié à un risque de complications graves s’ils contractaient la COVID-194. Sans compter les personnes âgées qui, même sans aucune maladie génétique, voient leur système immunitaire affaibli, ou les plus jeunes qui se croient en santé, mais ne le sont pas.

Une société évoluée devrait s’occuper de tout le monde. C’est malheureux qu’on ne le fasse pas.

Le DAndré Veillette, chercheur en immunologie et oncologue

Comme si on considérait que certaines vies avaient moins de valeur que d’autres.

On ne parle pas ici de retour au confinement ou d’autres gros sacrifices. « On parle par exemple d’améliorer la ventilation, d’exiger le port du masque dans certains contextes, d’utiliser les tests rapides… »

Tant de mesures collectives qui n’empêchent pas les gens de vivre et répondraient de façon posthume au souhait d’Émilie en disant : « Nous ferons attention à toi. »

1. Consultez le site d'Immunoclip 2. Lisez l'hommage paru dans Le Soleil 3. Consultez les données de Statistique Canada 4. Consultez les données de Statistique Canada