Aussi bien vous le dire, on n’aime pas tellement ça quand un journaliste devient un politicien. Je dis « on ». Je n’ai pas fait de sondage chez les journalistes. Je parle de moi et de la plupart des collègues que je côtoie.

Ça fait désordre. Ça soulève des questions désagréables sur l’impartialité. Sur la chronologie de la tentation politique. Sur les tractations.

Rien d’illégal, de répréhensible ou de déshonorant en soi. J’admire, en fait, la seule idée de se lancer dans cette job de fou. Martine Biron, une collègue que j’estime, est bien placée pour savoir dans quoi elle s’embarque. Elle vient de passer du rôle somme toute confortable d’analyste, descripteur ou critique, à celui d’analysée, décrite et critiquée.

N’empêche, ce changement de costume en coulisse au milieu du show me fait toujours un peu faire la moue.

Ah non, pas toi aussi, Martine ?

Surtout quand c’est un journaliste « en fonction ». Surtout quand c’est un journaliste politique. Surtout quand c’est un journaliste qui couvre les coulisses de ce pouvoir auquel il tente de se joindre.

Comme quand Bernard Drainville interviewe le chef péquiste André Boisclair le samedi et devient candidat de son parti la semaine suivante. Ou quand Pierre Duchesne passe d’analyste de la politique à l’Assemblée nationale et se présente en politique. Christine St-Pierre a aussi déjà été journaliste à l’Assemblée nationale, quelques années avant de se joindre au Parti libéral.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Christine St-Pierre, lors de son assermentation comme ministre québécoise des Relations internationales et de la Francophonie

J’insiste : la politique est un métier exigeant et parfaitement honorable. Et tous les gens que je viens de mentionner ont exercé le journalisme avec professionnalisme.

Il n’en reste pas moins que ces passages d’un monde à l’autre, particulièrement nombreux en politique québécoise, laissent une sorte d’égratignure.

Bien entendu, aussitôt un journaliste repêché par un parti politique, les autres partis s’empressent de dénoncer l’opération. Ça n’a pas manqué mercredi avec Martine Biron.

Sauf que tous les partis politiques à Québec ont recruté des journalistes, du fondateur du Parti québécois René Lévesque (d’abord libéral) à l’ex-chef libéral Claude Ryan à Vincent Marissal chez Québec solidaire – encore qu’il avait quitté le métier avant la politique, etc.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Vincent Marissal, député de Québec solidaire

Aucun n’a de leçons à donner, donc.

L’ex-ministre libéral Gaétan Barrette pose tout de même une bonne question. « La Commissaire à l’éthique et à la déontologie me dit que je n’ai pas le droit de siéger sur le conseil d’administration d’une clinique médicale (sans rémunération) après ma carrière politique. OK. Mais vous autres, les journalistes, avez-vous un Code de déontologie ? Vous faites la morale à tout le monde, mais c’est quoi les règles sur le passage du journalisme à la politique ? »

Le Parti québécois pose aussi la même question : hier encore, Martine Biron recueillait les confidences off the record de tout un chacun. La voici maintenant avec le parti au pouvoir. Malaise.

Un malaise qu’on tentera d’exagérer, mais qui passera vite, comme tous les autres. D’autant que si elle devient ministre, comme on le devine, Martine Biron ne fera pas honte à son gouvernement.

La question de Gaétan Barrette, bien que partisane, est quand même pertinente. C’est quoi, les règles ?

La réponse, c’est qu’il n’y en a pas. Chacun est libre de se présenter en politique, et le peuple électeur réglera la question.

On ne peut pas mettre sur le même pied la position d’un journaliste et celle d’un ministre important. Ni en termes de pouvoir ni en termes de réseau et d’informations privilégiées monnayables dans une carrière subséquente. Je vois mal comment on pourrait empêcher quelqu’un de se présenter en politique, s’il en a le courage. Ni même, comme Bernard Drainville, de la quitter avant la fin de son mandat pour faire de la radio – lui qui avait pourfendu pendant des années ceux qui quittaient leur poste de député avant la fin, au mépris de l’électeur et du contribuable devant financer une élection partielle.

Mais on ne peut pas non plus faire comme si ces passages spontanés, sans période tampon, du journalisme à la politique étaient tout à fait insignifiants et ne posaient aucun problème éthique.

Ce seront les premières explications que devra donner Martine Biron.

Après, ce serait peut-être à la profession d’esquisser enfin quelques principes sur l’avant- et l’après-saut en politique pour les journalistes. Histoire d’au moins tenter de rassurer le public, de lui dire que tout n’est pas acceptable en toutes circonstances, et qu’on distingue les simples sauts des triples sauts, les sauts avec ou sans perche, en hauteur ou en longueur…