C’était en 1984. L’été des grands voiliers et de Like a Virgin de Madonna. Mais sur le mur de ma chambre de petite fille, c’est l’affiche du pape Jean-Paul II qui régnait. J’avais l’enthousiasme dans le fond du piton pour la visite papale. Sur les terrains de l’Université Laval, quand la papemobile a passé à 100 m de nous, j’ai pleuré. Comme une groupie.

En regardant les images d’archives de la toute première visite d’un pape sur le sol canadien, je vois bien que je n’étais pas la seule happée par la papomanie. L’homme en soutane blanche a été accueilli comme une rock star au Québec, mais aussi dans le reste du Canada lors de cette visite qui s’est étendue sur 12 jours. Céline Dion a chanté Une colombe devant un Stade olympique plein à craquer.

Espérons maintenant que la visite du pape François qui débute aujourd’hui ne ressemblera en rien au festival Papepalooza de 1984.

Pas que François soit un pape moins fréquentable que Jean-Paul II. Au contraire. Même s’il est exagéré de parler de révolution vaticane, on a rarement vu un Saint-Père plus enclin à mettre de l’eau dans son vin de messe en montrant une certaine souplesse sur les questions morales, notamment à l’égard de l’homosexualité.

Cela dit, en voyant les images du pape atterrissant à Edmonton ce dimanche, on ne doit pas oublier que le Canada ne reçoit pas seulement la visite de l’Argentin Jorge Mario Bergoglio — tout aussi sympathique soit-il —, mais bien de la figure d’autorité suprême d’une immense organisation religieuse. Une organisation qui peine à faire amende honorable pour les torts causés tant par ses dirigeants que par des individus qui ont agi en son nom partout dans le monde.

D’ailleurs, le pape François est le premier à dire que son séjour au Canada ne sera pas une partie de plaisir, mais un « pèlerinage de pénitence ». Et qu’il sera consacré presque entièrement aux membres des Premières Nations, aux Inuits et aux Métis qui ont souffert dans les pensionnats pour Autochtones, mais aussi plus largement du colonialisme.

Il ne faudrait pas perdre de vue que la faute à expier est immense. Faut-il rappeler que de 1820 à 1997, plus de 150 000 enfants autochtones ont été envoyés dans ces pensionnats où l’on avait pour mission de « tuer l’Indien dans l’enfant » en les empêchant de parler leur langue et en leur rentrant le christianisme de force dans la gorge.

Au moins 4100 enfants sont morts de négligence, de malnutrition et de mauvais soins pendant ces années noires. Des dizaines de milliers d’autres ont gardé des marques indélébiles des abus physiques, psychologiques et sexuels qu’ils ont subis.

Sur 139 pensionnats qui ont été financés par l’État canadien, près des trois quarts ont été exploités par des communautés religieuses catholiques.

Malgré ces chiffres accablants, l’Église catholique canadienne s’est allégrement traîné les pieds avant de s’engager sur le chemin du repentir.

Le scandale des pensionnats autochtones a commencé à émerger il y a 30 ans, l’Église unie a demandé pardon en 1986, l’Église anglicane a suivi en 1993, le gouvernement canadien a pour sa part présenté ses excuses en 2010 et c’est en 2015 que la Commission de vérité et réconciliation a produit son rapport concluant qu’il y a eu « génocide culturel ».

Malgré cela, ce n’est que l’an dernier que les évêques canadiens ont publié une lettre d’excuses. Et il aura fallu trois décennies de démarches dans les coulisses pour que le pape fasse de même. D’abord à Rome en avril dernier. Et cette semaine, sur le sol canadien.

Jusqu’à maintenant, les excuses papales sont timides. Il y a à peine quelques jours, François a déploré que de « nombreux chrétiens, y compris certains membres d’ordres religieux, ont contribué aux politiques d’assimilation culturelle qui, dans le passé, ont gravement porté atteinte aux populations autochtones ».

Comme si ce n’était que quelques brebis galeuses qui avaient erré et commis ces crimes s’étendant pourtant sur plus de 100 ans. Mais où est la responsabilité du berger dans tout ça ?

Et il n’y a pas que le discours qui est timoré. Jusqu’à maintenant, l’Église catholique s’est aussi montrée avare de gestes, allant jusqu’à contester en cour les sommes qu’elle devait verser aux efforts de guérison. Et s’opposant à l’ouverture de ses archives concernant les pensionnats.

Petite éclaircie au tableau : les évêques ont lancé l’an dernier une nouvelle collecte de 30 millions pour les survivants autochtones.

Maintenant, il reste à voir si la visite de François marquera un réel tournant dans les efforts de réconciliation entre l’Église catholique et les Autochtones grâce à des mots et à des gestes courageux. Ou si le souverain pontife continuera d’utiliser le vocabulaire alambiqué qui semble directement téléguidé par les avocats du Vatican.

Entre-temps, c’est dans la sobriété que le pape doit être reçu chez nous, et non pas dans l’effusion.

C’est un peu troublant de lire dans les pages du Soleil que les magasins de Québec se remplissent de souvenirs à l’effigie du Saint-Père pour les fans transis.

Si j’étais un commerçant de la Vieille Capitale, je vendrais des t-shirts orange portant la mention « Chaque enfant compte », en hommage aux victimes des pensionnats autochtones, plutôt que des affiches et des bougies arborant la photo de François.