Le criminaliste Michel Massicotte, un vieux routier, s’est fait remarquer du public l’an dernier comme avocat d’Éric Salvail, acquitté d’agression sexuelle.

Mais le job d’un avocat de la défense consiste bien plus souvent à négocier un « bon règlement » avec le ministère public qu’à tenter de faire acquitter son client dans un procès.

Et un « bon règlement », c’est ce que vient d’obtenir son client André Boisclair, condamné pour deux agressions sexuelles à deux ans de prison – « moins un jour », ce qui l’envoie dans le système carcéral du Québec, les pénitenciers fédéraux gérant les peines de deux ans et plus.

Car s’il avait été condamné pour ces crimes très sérieux au terme d’un procès, l’ancien ministre aurait pu écoper du double.

Une agression sexuelle de ce type peut souvent entraîner trois ans de pénitencier, selon les circonstances. Dans ce cas-ci, Boisclair a participé à un viol collectif, tenant un jeune homme sur un lit pendant qu’un homme tentait de sodomiser la victime.

À une autre occasion, l’ancien politicien a projeté un jeune homme sur un lit, lui a retiré son pantalon et a tenté de le pénétrer, même si la victime lui criait d’arrêter. Cela « vaut » facilement une année d’emprisonnement. Une peine qui se serait additionnée à la première.

Même s’il n’y a pas eu de procès, les deux victimes ont été entendues avant la sentence. Leur témoignage déchirant nous a montré à quel point ces évènements ont été traumatisants et ont fait chavirer leur existence. « J’ai un mal de vivre qui ne veut juste pas partir », a dit l’un, qui a abandonné ses études et son rêve d’une vie politique. Le deuxième s’est dit « marqué à vie ».

Deux ans pour de tels crimes (18 mois pour le premier, 6 pour le second) est donc une peine clémente.

Ce n’est pas une sentence injuste pour autant. Pourquoi ? Parce qu’il y a une prime pour celui qui s’avoue coupable.

Les statistiques judiciaires canadiennes ne sont pas très fiables, mais on s’entend généralement pour dire qu’au moins 80 % des causes, voire 90 %, se règlent par un aveu de culpabilité de l’accusé. Le système fonctionne à partir de cette hypothèse : la plupart des choses doivent être « réglées » sans procès.

Ce n’est pas seulement une question de coûts. C’est une manière, pour les accusés comme pour l’État, de gérer le risque. Dans le cas d’André Boisclair, la défense et la poursuite s’étaient entendues pour présenter au juge une suggestion de peine commune.

L’avantage pour la poursuite est, bien sûr, de s’assurer d’une déclaration de culpabilité sans passer par un procès, exercice parfois périlleux, toujours coûteux, et par définition pénible pour les victimes.

L’avantage pour l’accusé est d’obtenir une peine plus clémente et prévisible.

Le fait d’admettre sa responsabilité criminelle est un point de départ pour un accusé prétendant se réhabiliter. André Boisclair, malgré le fait que ses crimes soient particulièrement répugnants, est un bon candidat à une peine relativement clémente.

Car on ne punit pas le crime dans l’abstrait ; c’est une personne, unique, qui se fait infliger un châtiment en principe taillé sur mesure.

L’ancien chef du Parti québécois a suivi une thérapie (il était « gelé » pendant les agressions, et a reconnu une grave dépendance, que son avocat a tenté de faire passer pour une excuse) et s’est engagé à faire tester régulièrement par prises de sang sa sobriété. Il a le soutien de sa famille et de ses amis, un encadrement qui est un facteur positif de réinsertion, de plus faible risque de récidive.

Le crime doit être « dénoncé » par une peine significative, dit le juge Pierre Labelle.

Mais devant une suggestion commune de la défense et de la poursuite, les juges ont très peu de marge de manœuvre. À moins d’une proposition franchement déraisonnable, les juges sont obligés d’acquiescer à la suggestion qui leur est faite par des avocats d’expérience, qui connaissent le dossier et qui en font une présentation complète à la cour. Sans quoi les ententes négociées ne comporteraient aucune garantie de résultat et ne serviraient à rien. Il est donc très rare qu’un juge s’aventure en dehors des sentiers battus de l’entente, et s’il le fait, il doit le justifier, sous peine de se faire casser en appel.

Si deux ans de prison pour ces crimes demeure une peine relativement légère, ça n’en est pas moins une peine d’emprisonnement véritable. Elle sera suivie de deux ans de « probation ». Dans les circonstances de cet accusé sans antécédent judiciaire, ce n’est pas juridiquement déraisonnable, et le juge Labelle n’avait guère le choix que de l’entériner.