Pourquoi parler français ? C’eût été une hérésie de poser la question il y a quelques années. Aujourd’hui, il importe d’y répondre. Avant de ne plus avoir les mots pour le faire, dans la langue de notre mère.

Parler anglais, c’est tellement plus évident. Pour avoir plus de likes sur TikTok. Pour avoir plus de friends sur Facebook. Pour avoir plus de streamings sur Spotify. Pour avoir plus de reach. Pour faire sa place dans le world. Parler anglais, c’est tellement plus payant.

Alors, pourquoi s’entêter à parler encore français, plus de 260 ans après avoir été conquis ?

Nos aïeux ont perdu la guerre, mais ils ont gagné la paix, en refusant d’être défaits par la défaite. Le pays n’est pas devenu the country. L’hiver n’est pas devenu the winter. Le fleuve n’est pas devenu the river. Le ciel n’est pas devenu the sky. En continuant d’appeler les choses par leurs noms à eux, ils ont continué d’être chez eux en eux. Et le temps leur a donné raison. Parce qu’à force de résister, ils ont fini par réexister. Vint la Révolution pas si tranquille, et le chez eux en eux est sorti d’eux. Par la bouche des poètes, des auteurs, des chanteurs, des entrepreneurs, des leaders, des rêveurs. En français. Pas celui d’ailleurs. Le nôtre. Le québécois. Et on a affiché notre différence avec fierté.

On a cru que c’était assez. Que c’était en masse. Pour rester ce que nous sommes. Pour être respectés. On se sentait tellement libérés qu’on n’avait pas besoin de payer le prix de la liberté. On se l’est donnée, gratis, sans l’avoir obtenue. Sans être allés la chercher. On n’a pas la souveraineté, on a la sous-souveraineté. C’est une coche en dessous. C’est comme la marque Le Choix du Président. Ça goûte pareil, mais ça coûte moins cher. Espérons que ça fera l’affaire.

Je sais, je m’égare. On s’égare toujours avec ce débat-là. Parce qu’on ne sait pas où ça s’en va. On avance ou on recule ? Tout dépend de la destination voulue.

C’était quoi déjà, la question ? Pourquoi parler français ? Quand parler anglais est plus payant ? Parce que la vraie richesse, ce n’est pas l’argent, c’est le temps. Et c’est la langue française qui contient le temps de nos parents et des parents de nos parents.

C’est à travers elle qu’ils se sont transmis ce qu’ils savent, ce qu’ils ressentent et ce qu’ils aspirent à savoir et à ressentir.

Ne plus parler français, c’est cesser de parler. C’est répéter ce que les autres disent. C’est devenir un emprunteur. D’un passé qui n’est pas le nôtre.

Vous êtes prêt à sacrifier le passé pour votre avenir ? L’avenir n’a pas de sens, sans le passé. C’est sur le passé que s’appuie le présent. Dans l’arbre déjà mature que naît le fruit.

Perdre le français, c’est ne plus être en mesure de lire notre histoire. C’est couper le fil. C’est effacer notre mémoire. C’est triste, un individu qui ne se rappelle plus. C’est tragique, un peuple qui ne se souvient plus.

Il faut protéger notre langue, parce que c’est notre langue qui nous protège. Sans elle, on disparaît. On, c’est-à-dire tous ceux d’avant et tous ceux du présent. Car le présent n’a qu’une seconde de retard sur le passé.

Le français, c’est plus qu’un moyen de se faire comprendre du monde. C’est une façon de comprendre le monde. C’est le propre de chaque langue. C’est juste que dans la nôtre, il y a notre appartenance.

C’est pratique de parler plein de langues. On n’en parlera jamais assez. Mais c’est essentiel de parler la sienne. Pour que s’expriment tous ceux que l’on est.

Notre existence est l’aboutissement de tellement de gens. Parler leur langue, c’est leur permettre de se comprendre. C’est se permettre de se comprendre.

La plus grande menace pour le français, ce ne sont pas ceux qui ne le parlent pas, ce sont ceux qui ne le parleront plus. Ceux qui le parlent en ce moment et qui n’en saisissent pas toute la valeur. Qui ne voient pas à quel point c’est important pour eux et leurs enfants.

L’amour engendre l’amour.

C’est en aimant notre langue que nous la ferons aimer aux autres.

Bon lendemain de Saint-Jean !

C’est entre deux Saint-Jean que le Québec se fait. Ou pas.