Le Québec a été précurseur en matière d’aide médicale à mourir. Dans une sérénité admirable, nous avons mené cette réflexion collective au début des années 2010, sous l’égide d’une commission parlementaire transpartisane qui a d’abord écouté les Québécois avant de transformer ces consultations en une loi, adoptée en 2015.

Ça s’est fait lentement, délicatement, sûrement.

Au Québec, le politique n’a pas été à la remorque des tribunaux pour encadrer ce soin, ce soin ultime. Ottawa l’a été. Pendant que le Québec balisait dans une loi ce que les Québécois souhaitaient, Ottawa niaisait avec le puck, et c’est la Cour suprême qui lui a forcé la main en 2015.

Il faut dire que les tribunaux ont évolué à la vitesse grand V ces dernières années, en cette matière. L’arrêt Carter de la Cour suprême (2015) et celui de la Cour supérieure du Québec dans les cas de Jean Truchon et de Nicole Gladu (2019) ont scellé le rattrapage judiciaire face au consensus populaire.

À l’époque des débats sur l’aide médicale à mourir, j’ai souvent écrit sur la question. J’étais — je suis — résolument en faveur de l’aide médicale à mourir, pour ceux qui choisissent ce soin. J’ai vu mes deux parents mourir de cancers fulgurants et je veux pouvoir y avoir accès, si la même chose m’arrivait.

Y aurais-je recours, si j’étais condamné ?

Ce n’est pas la question ; la question, c’est d’avoir le choix. Et la plupart d’entre nous, désormais, l’ont, le choix.

Je dis que la plupart d’entre nous l’ont, le choix, parce qu’il existe encore des catégories de malades qui n’ont pas accès à l’aide médicale à mourir (AMM). Par exemple, les gens atteints de maladies neurocognitives, comme l’alzheimer.

Est-il souhaitable, dans l’absolu, que des personnes se sachant condamnées à mourir de maladies comme l’alzheimer puissent avoir accès à l’AMM ? Je le pense. Le consensus est, là aussi, très fort : 86 % des Québécois sont d’accord (80 % à l’échelle canadienne).

Mais cet enjeu est complexe : la personne atteinte d’un cancer en phase terminale peut, en toute lucidité, demander l’AMM. La personne atteinte de démence, elle, ne sera pas lucide au moment de recevoir l’AMM. Elle devra consigner sa demande en toute lucidité… Bien longtemps avant sa mort.

L’enjeu est complexe, mais ce n’est pas parce que les débats sont complexes qu’il faut les éviter. Les parlementaires québécois planchent actuellement sur un projet de loi qui permettrait d’élargir les frontières de l’AMM à ces personnes atteintes, par exemple, de l’alzheimer.

Je reviens aux 15e et 16e mots de cette chronique, où j’évoquais les débats sociaux et politiques qui ont encadré l’adoption de la loi québécoise sur l’aide à mourir, qui se sont faits dans une sérénité remarquable.

Sept ans plus tard, l’Assemblée nationale ne mène pas le débat sur l’élargissement de l’AMM 2.0 dans une sérénité remarquable. Au contraire.

Actuellement, les députés étudient le projet de loi 38 dans un climat d’urgence, parce que le mur de la fin de session parlementaire approche (vendredi). Ce projet de loi donne suite au rapport (déposé en décembre) sur l’élargissement de l’aide médicale à mourir.

Mais l’étude du projet a été marquée par une cacophonie qui n’est ni sereine ni remarquable et qui, je le crains, va créer de la confusion s’il est adopté.

En vrac, je résume :

  • Le gouvernement a sorti un lapin de son chapeau en souhaitant inclure les personnes paralysées (il a reculé) ;
  • La demande anticipée d’AMM pour les personnes atteintes de maladie comme l’alzheimer est très complexe à implanter dans le réel et exige une attention à des détails très fins… Incompatible avec l’empressement actuel ;
  • Le ministre Christian Dubé a affirmé que les personnes atteintes de la maladie de Lou Gehrig pourraient enfin avoir accès à l’AMM, mais elles y sont déjà admissibles : c’est une petite erreur qui trahit son manque de connaissance fine du dossier ;
  • Le Collège des médecins est venu jeter un pavé dans la mare en exigeant que Québec « harmonise » ses pratiques avec le fédéral, ce qui ressemble à un épouvantail… Qui a fait peur aux parlementaires, en effet.

Bref, le débat qui a cours est tout croche. Le gouvernement n’a pas priorisé le projet de loi 38 dans son calendrier parlementaire. Il a donc été déposé à la onzième heure. Résultat : les députés font les débats dans l’urgence, l’œil sur l’horloge qui va sonner la fin de la session… Demain.

Et s’il y a un enjeu qui mérite de se faire dans une sérénité obligatoire, sans urgence, en prenant tout le temps qu’il faut pour analyser, pour rassurer, pour expliquer, pour soupeser… C’est bien celui de la fin de vie.

Question pour les députés : qu’est-ce qui presse ?

C’est un défenseur acharné de l’aide médicale à mourir qui écrit ces mots : j’ai peur de ce que nos députés vont adopter, pressés par le temps, j’ai peur qu’on légifère tout croche. Ce serait terrible pour la perception que nous avons de l’AMM.