Si vraiment la plus haute cour au Québec trouvait tellement inacceptable la tenue totalement secrète d’un procès, elle s’est bien gardée de le montrer lundi.

Les trois juges, parmi les plus réputés au Québec, ont pourtant écrit dans leur jugement du 28 février que l’ampleur de ce secret était « exagérée et contraire aux principes fondamentaux qui régissent notre système de justice ».

Trois mois plus tard, l’absurdité n’a pas été corrigée d’une virgule.

Ce secret, une violation parfaitement claire du principe de publicité des procès, dure pourtant depuis des mois – si ce n’est plus d’un an, car parmi les choses qu’on ignore, il y a la date du procès…

Je rappelle pour la millième fois qu’aucun média ne veut identifier ou connaître l’identité de l’indicateur de police qui était au cœur de ce procès secret. Tout le monde reconnaît son droit à l’anonymat complet.

Vrai aussi, des enjeux juridiques subtils sont soulevés et méritent l’attention de la Cour d’appel.

Mais quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi on n’a pas déjà révélé l’identité du juge ayant présidé ce procès secret ? Celle des procureurs ? Juste ça : juges, avocats.

On peut connaître le nom des juges dans absolument toutes les causes, à Montréal, New York ou Guantánamo, que ce soit dans des affaires de terrorisme, de gangstérisme, de sédition…

Mais on pourrait garder secrète l’identité du juge ici ?

Impossible.

Lundi, les juges Martin Vauclair et Marie-France Bich ont soulevé une question technique importante : la Cour d’appel peut-elle légalement annuler l’ordonnance de huis clos ou la modifier ? Ou doit-elle retourner l’affaire au premier juge ?

Les avocats des médias ont plaidé qu’elle a le pouvoir de le faire ; les avocats anonymes ont plaidé le contraire – à huis clos, mais on le sait de leur mémoire, en partie public.

Mais même à supposer que l’affaire devrait être renvoyée au premier juge… comment les médias et les autres avocats pourraient-ils aller plaider devant lui si on ne sait pas c’est qui, à quelle cour il siège, etc. ? Il faudrait faire ça dans un deuxième sous-sol de parking, sans savoir qui est le juge ?

D’une manière ou d’une autre, il faudra bien identifier ce juge. C’est le strict minimum constitutionnel. Alors, pourquoi attendre encore ? Les tenants et aboutissants sont bien connus, la Cour d’appel a tout le dossier en main depuis des semaines.

On me dira : bah, un jour, une semaine, un mois ou quatre de plus, quelle différence ? On finira bien par savoir…

Désolé, mais ce n’est pas censé fonctionner comme ça. La « bonne » décision se fait déjà trop attendre.

Chaque jour qui passe sans qu’on corrige au moins minimalement cette ordonnance exorbitante et illégale de secret aggrave la violation de ce droit constitutionnel – celui du public de savoir ce qui se passe devant nos tribunaux.

Si j’ai bien lu les enseignements de la Cour suprême, il n’y a pas de hiérarchie entre les droits fondamentaux : les juges doivent tenter de les faire cohabiter le plus possible.

Si j’ai bien lu notre droit aussi, rien n’est plus important que « la confiance du public » dans le système judiciaire. C’est, nous dit-on, le socle même sur lequel repose l’édifice de la justice.

Comment voulez-vous avoir confiance dans une justice où un juge se cache sans raison apparente derrière une cagoule juridique ? Où des avocats du ministère public, avec un avocat de la défense, non seulement plaident à huis clos en Cour d’appel (ce qui est normal pour protéger certaines informations), mais en plus cachent leur nom et restent terrés dans leur ordinateur ?

Combien faudra-t-il de jours pour mettre fin à cette mascarade ?

La Cour d’appel a dit en février que c’est inacceptable. Et bien évidemment, ces trois juges ont été choqués devant ce procédé. C’est pourquoi ils l’ont dénoncé.

Mais trois mois plus tard, on est au même point. Celui de l’information zéro – ou presque. Ce délai à lui seul fait grandir la tache sur la justice québécoise.

Il y a urgence d’y remédier, au moins pour les informations de base – qui seront probablement tout ce qu’on pourra savoir de cette affaire, où la vie de l’indicateur est probablement en jeu.

Comme : quelle cour, quelle ville, quel juge, quelle année, quel crime, quels avocats ?

Je ne peux pas voir ce qui justifie encore de ne rien, rien, rien divulguer de ça, même si l’on renvoyait le dossier au premier juge.

J’aurais cru que, devant l’ampleur de la violation, la Cour d’appel aurait eu un peu plus d’impatience.