Il est temps de dire la commedia è finita. La farce a assez duré. Rideau.

Depuis bientôt quatre ans, 15 policiers sont mobilisés pour trouver les coupables de fuites dans des enquêtes policières de l’Unité permanente anticorruption (UPAC). On parle de millions de dollars.

Sur quoi enquêtent-ils ? Un complot terroriste ? Un réseau de pédophilie ?

Mais non. Ils enquêtent sur des enquêteurs de l’UPAC.

Sur quoi enquêtaient ces enquêteurs ? Sur le financement illégal des partis politiques, et en particulier sur celui du Parti libéral du Québec sous Jean Charest. Ces enquêtes ont mené à l’arrestation de Nathalie Normandeau, ex-vice-première ministre du Québec.

Sauf que des fuites massives se sont retrouvées dans les médias. On a vu à la télé (TVA, Radio-Canada) et lu ailleurs des extraits vidéo de témoins. Du matériel hautement confidentiel, transmis illégalement aux médias.

Ce n’est pas d’hier que les policiers utilisent la fuite contrôlée pour faire réagir des suspects, mettre de la pression sur les procureurs, se venger, etc. Classique.

Mais cette fois, les fuites étaient de calibre olympique. On va attraper « les bandits » au sein de l’UPAC qui ont fait ça, avait tonné le commissaire Robert Lafrenière. Car en effet, faire fuiter des morceaux d’une enquête peut être un abus de confiance, une entrave, etc.

Sauf que le bandit… c’était peut-être Lafrenière.

Le juge André Perreault avait conclu en 2020 que ces fuites avaient probablement été orchestrées par le commissaire Lafrenière lui-même. Pourquoi ? En partie pour mettre de la pression sur les procureurs du ministère public, pour que des accusations soient déposées. En partie pour sa propre carrière : il voulait voir son mandat renouvelé.

En arrêtant avec fracas Mme Normandeau le jour du dépôt du budget du Québec, Lafrenière forçait le jeu : un non-renouvellement aurait eu des allures de vengeance de la part du gouvernement libéral en place en 2016 ; un renouvellement donnait au contraire une impression d’indépendance au gouvernement libéral (alors gouverné par Philippe Couillard), l’occasion de démontrer qu’une « nouvelle administration » était en place.

Est-ce vraiment ce qui a motivé Robert Lafrenière ? Est-ce vraiment lui ? Six ans plus tard, il le nie. Il n’en reste pas moins que ce coup d’éclat a été suivi de son renouvellement de mandat en 2016. Le procureur Denis Gallant dit qu’il avait le contrat en main pour accepter le poste et que l’arrestation de Normandeau a tout annulé.

Mais le procès de Nathalie Normandeau et de ses coaccusés pour divers actes de favoritisme dans l’attribution de contrats en échange de financement politique, lui ? Ce procès n’a jamais eu lieu. Parce que ces fuites massives ont créé assez de turbulence et de délais pour que la défense plaide l’arrêt Jordan.

C’est une simple thèse, pour l’instant. Et le commissaire Lafrenière n’a jamais été entendu pour se défendre.

N’empêche : le juge Perreault a conclu que Lafrenière était dans le coup – ce qu’il nie avec véhémence.

Pourquoi parle-t-on de ça en ce moment ? Parce que jusqu’à lundi, l’essentiel des faits du jugement Perreault était soumis à une ordonnance de non-publication. Le juge Raymond Pronovost vient de la lever presque au complet.

OK. On fait quoi, maintenant ?

Plusieurs personnes ont pu participer à des fuites pour diverses raisons. Et bien après le renouvellement de Lafrenière, les fuites ont continué. En quoi cela le servait-il ?

Elles ont beau faire des nouvelles intéressantes, il faut se garder de la vision romantique des « fuites » et des « enveloppes brunes » entretenue dans les milieux journalistiques depuis le Watergate.

Les fuites d’informations dans une enquête criminelle ne sont pas toujours le fait de courageux enquêteurs qui veulent servir l’intérêt public pour dénoncer un blocage politique. Elles sont souvent des coups fourrés entre policiers, des méthodes de pression sur des suspects, etc. Et peuvent nuire à l’intérêt public et à la lutte contre le crime, voire faire capoter l’enquête… comme dans le cas Normandeau.

Il est donc légitime, dans des cas aussi graves, que les corps de police enquêtent pour démasquer les responsables.

Mais… 15 enquêteurs ? Depuis 2018 ?

Ce n’est pas sérieux.

Rien n’indique que le « Bureau des enquêtes indépendantes » (BEI) arrivera à quoi que ce soit.

En fait, tout indique que ça ne mènera nulle part.

Qui croit sérieusement que cette interminable enquête-sur-les-fuites-des-enquêtes d’il y a 10 ans mènera à une condamnation au criminel ?

Pas moi.

Je dis « interminable », et encore : pour l’« inter », je ne suis pas certain.

Que Robert Lafrenière ait participé ou non aux fuites, si on pouvait le prouver, quatre ans après sa démission (le jour des élections !), on le saurait.

Tout ceci ne servira à rien, à part des heures supplémentaires des enquêteurs et des honoraires d’avocats.

Trop tard, les amis, vous avez rendu tout ça indéchiffrable, inextricable, indémêlable, bravo, c’est foutu.

Heureusement, pendant ce temps, une nouvelle direction a pris place à la tête de l’UPAC, loin de tout ça.

Raison de plus pour jeter les vieux cartons.