« Louisianisation », « menace existentielle », crainte pour la « survie de la nation ».

Au congrès de la CAQ à Drummondville, François Legault a brossé un sombre portrait de l’avenir de notre langue. Sa grande demande : rapatrier des pouvoirs en immigration à Ottawa. Il veut que le Québec contrôle les réunifications familiales.

Son plan repose sur une prière.

M. Legault souhaite que la population lui donne un mandat fort. Pourtant, il l’a déjà. Il a été élu en 2018 avec cette position. Justin Trudeau était minoritaire. Il avait besoin du Québec. Et malgré tout, il a refusé.

Depuis, la situation empire. M. Trudeau gouverne confortablement avec l’appui du NPD. Et les conservateurs tournent le dos au Québec. Le flirt de l’ancien chef Erin O’Toole avec le Québec n’a rien donné, et les candidats à sa succession en ont pris note.

Les caquistes comptent 76 députés. Qu’ils remportent les prochaines élections avec 86 ou 106 députés n’y changera pas grand-chose.

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, REUTERS

François Legault dimanche, à Drummondville

Samedi, un militant a proposé que M. Legault fasse un référendum sectoriel pour réclamer ce pouvoir. Sans surprise, le chef n’était pas intéressé. S’il perdait, cela affaiblirait sa position. Et s’il gagnait, le fédéral risquerait fort de lui dire « non » quand même.

Face à ce blocage, le Parti québécois a une solution : l’indépendance. Mais M. Legault ne veut plus rien en savoir et il n’a pas de plan B.

L’immigration se divise en trois catégories.

Le Québec sélectionne les candidats « économiques ». Ils comptent pour 65 % des quelque 50 000 nouveaux arrivants annuels.

Le fédéral s’occupe des demandeurs d’asile et des réunifications familiales. Ce dernier volet totalise environ 10 000 candidats. La moitié d’entre eux ne parlent pas français à l’arrivée. M. Legault voudrait les refuser.

Il s’agit des enfants et des conjoints des immigrants déjà installés chez nous. Il serait ingrat de les séparer de leur famille. Et de toute façon, ces enfants iront à l’école en français.

Une sous-catégorie de la réunification familiale porte sur les parents et les grands-parents des immigrants. La majorité des demandes sont refusées par le fédéral. À peine 1000 aïeuls par année rejoignent un proche au Québec. M. Legault pourrait prioriser les candidats parlant le français. Reste qu’il est difficile d’imaginer comment un allophone de 80 ans fragilise à long terme le français, ou comment il pourrait apprendre une nouvelle langue en quelques mois.

M. Legault n’exige pas de gérer le volet humanitaire. De toute façon, le droit international l’empêcherait de refuser un réfugié pour des raisons linguistiques. Mais le chef caquiste pourrait montrer sa bonne foi en assouplissant la nouvelle loi 96, qui accorde aux réfugiés un délai presque impossible de six mois pour apprendre le français1.

Dans son discours, M. Legault n’a pas parlé d’immigration temporaire. Questionné par les journalistes, il a confirmé vouloir récupérer aussi ce pouvoir.

Ce serait utile. Comme le montre une nouvelle étude de l’économiste Pierre Fortin, la quantité d’immigrants temporaires a bondi dans la dernière décennie. Elle dépasse désormais les permanents – ceux qui sont en voie de devenir citoyens.

La plupart des individus au statut temporaire reçoivent un permis de séjour « fermé » associé à un employeur. Ils répondent à un besoin immédiat du marché du travail – le Québec participe à cette évaluation avec le fédéral.

Les autres ont un permis ouvert pour travailler ou un permis d’études. Les enfants de ces immigrants temporaires ne sont pas obligés d’aller à l’école en français.

Certains des « temporaires » finiront par demander un statut permanent. À cette étape, le Québec exerce un contrôle. Il peut prioriser ceux qui parlent le français, par l’entremise de son programme de traitement accéléré pour étudiants et travailleurs temporaires (PEQ).

Le prof Fortin jugerait préférable de rapatrier entièrement l’immigration temporaire. D’autant que la bureaucratie fédérale occasionne des délais épouvantables.

Avoir ce pouvoir serait positif pour le français. Mais de là à dire que la survie de toute la nation en dépend…

Le congrès de la CAQ se déroulait sur le thème de la fierté.

Le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, André Lamontagne, a eu le mandat de faire un discours très nationaliste.

« Il faut qu’on accepte que des fois, on va déplaire. […] Ça doit nous motiver », a-t-il déclaré.

En d’autres mots : plus le Canada anglais attaque la CAQ, plus elle est convaincue d’avoir raison. Et surtout, plus elle marque des points…

Il est vrai que les habituels contempteurs du Québec se déchaînent depuis quelques mois, comme si nos frontières se fermaient. Le Québec reçoit pourtant plus d’immigrants que les États-Unis et que la moyenne des pays développés. C’est le Canada qui est atypique. Les cibles de M. Trudeau en feront bientôt le pays recevant proportionnellement le plus d’immigrants au monde.

La CAQ réagit à cela en déclamant ses demandes, le torse bombé. Elle se doute que la réponse sera non. Mais elle y trouve son compte, car les électeurs se rangeront derrière elle. Sans trop savoir quoi faire, à part se fâcher.

C’est à la fois un cri de ralliement et un cri d’impuissance.

1. Lisez notre analyse de cette mesure