Il était 1 h 30 du matin le 4 mai dernier quand Michael Fortier a réalisé pourquoi un voisin fessait sur la gouttière de sa maison pour le réveiller : son entrée de garage était en feu.

Ou plutôt, une de ses voitures était en feu.

Puis deux voitures.

Les flammes montaient haut, très haut dans les airs. Un témoin a filmé la scène, d’un autre angle, un véritable brasier. « Je n’oublierai jamais cette scène-là, dit Michael Fortier, en entrevue à La Presse. Je ne veux plus jamais voir ça. »

L’épouse de Michael Fortier et leurs trois enfants ont évacué la maison par l’arrière. Les pompiers sont débarqués, puis la police. Fortier, un vice-président de la Banque Royale, aussi ancien ministre conservateur, était sous le choc.

« Ça me jouait dans la tête. Même si les pompiers me disaient qu’ils ne voyaient pas de traces d’accélérant, même s’ils me disaient que c’était peut-être une défectuosité qui avait causé l’incendie, j’avais des doutes… »

En regardant les images filmées par un témoin, il n’est pas difficile d’imaginer que le feu de voitures aurait facilement pu se propager à la maison, où cinq personnes dormaient.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Michael Fortier, en 2018

La nuit a été courte et le banquier, VP de RBC Marchés des Capitaux, s’est rendu travailler ce matin-là, carrément incapable de penser à autre chose qu’à cet incendie. Puis, vers 7 h 30, un de ses fils l’a appelé. Ses premiers mots : « Papa, j’ai une mauvaise nouvelle… »

Le fils de Michael Fortier avait finalement trouvé le mot de passe des bandes vidéo des caméras de surveillance de la maison, mot de passe que Michael Fortier avait oublié. Son fils venait de visionner les images précédant l’incendie.

« Deux gars, à vélo, s’arrêtent, décrit Michael Fortier. Comme si de rien n’était. Puis ils sortent quelque chose et lancent ça vers la voiture qui était dans le milieu de l’entrée de garage. Celle-ci a pris en feu et a provoqué l’incendie de celle qui était près de la rue… »

Michael Fortier me raconte la scène, il est encore secoué.

« À ce moment-là, me dit-il, je suis dans le noir. Pourquoi ils ont fait ça ? Y a-t-il un angle mort dans ma vie ? Dans celle d’un membre de ma famille ? Est-ce que quelqu’un s’est trompé de cible ? Je ne connais pas ce monde-là…

— Ce monde-là ?

— Quand on lit ça dans le journal, qu’une voiture a flambé, on pense au crime organisé, la cible est décrite comme étant “connue des policiers”. Je suis pas de ce monde-là… »

Toute la journée, mercredi, Michael Fortier n’a pensé qu’à ça, à cet incendie, à ces images des incendiaires, qu’il n’a visionnées qu’une seule fois, « parce que je ne suis pas capable de les regarder de nouveau », en se demandant : pourquoi ?

La réponse est venue le jeudi 5 mai.

Le site « Montréal contre-information », qui se décrit comme un site de « nouvelles et analyses anarchistes et antiautoritaires », a publié un texte intitulé « Visite nocturne chez un haut dirigeant de la RBC », qui revendiquait l’incendie, parce que la Banque Royale finance un pipeline en Colombie-Britannique, Coastal GasLink.

Il était question de la « luxueuse demeure de Mont-Royal » de Michael Fortier, du financement par la RBC de ce pipeline, avec ces mots : « Pendant que fondent les glaciers, que la sécheresse, le feu et la famine se propagent, M. Fortier pense peut-être que son argent et ses contacts l’épargneront, lui, ses enfants et ses petits-enfants. Mais les enragés connaîtront les noms des grands responsables… »

Michael Fortier secoue la tête, c’est clair que ces gens-là ne me connaissent pas, dit-il : « Je suis basé à Montréal, je n’ai presque jamais eu de clients dans les hydrocarbures. Au contraire, plusieurs de mes clients sont dans les énergies renouvelables. Et même si j’étais dans les hydrocarbures, ça demeurerait évidemment injustifiable de me faire ça… »

Et, dit Michael Fortier, « ils ne savent pas que j’ai plusieurs fois critiqué ma propre famille politique, les conservateurs, sur notre approche en matière de changements climatiques ». Pour lui, c’est clair, il a été ciblé parce qu’il est un employé de la Royale, « coupable », en quelque sorte, par association.

La RBC est ciblée par des vandales depuis quelque temps : des succursales ont par exemple été vandalisées et la maison d’une autre haute dirigeante de la RBC à Montréal a été barbouillée de graffitis, en avril.

Appuyons sur Pause, ici.

Je sais bien que des militants du climat, parmi les plus convaincus, diront que ce qu’a vécu Michael Fortier, c’est moins pire que ce qui attend la planète, en cette ère de changements climatiques. J’avance que c’est faire preuve de relativisme et que c’est une pente glissante si on banalise ce genre de geste, parce que la logique de la culpabilité par association est un petit jeu dont personne ne sort indemne, jamais.

Personne n’est tout à fait pur – ni les riches, ni les pauvres, ni les patrons de banque, ni ceux qui achètent des véhicules, de même que les cyclistes dont les pneus sont faits avec des dérivés de pétrole…

À ce petit jeu-là, qui mérite de faire incendier ses biens ?

Qui mérite d’être intimidé ?

Qui mérite de faire les frais de moyens violents pour défendre une fin honorable, celle de l’environnement ?

À ce jeu-là, nous sommes tous une cible « légitime » pour quelqu’un qui a un schéma idéologique particulier.

À ce jeu-là, les incendiaires de Fortier, s’ils sont un jour arrêtés et identifiés, pourraient certainement être désignés comme des cibles légitimes pour certains excités.

C’est le genre de jeu qui finit avec des cadavres ligotés dans des « valises de chars »…

On est tous l’« impur » de quelqu’un.

Michael Fortier a connu la rudesse de la joute politique quand il a été ministre de Stephen Harper. Il s’expose à la critique quand il publie ses commentaires dans La Presse et dans d’autres médias.

Il n’a rien contre les environnementalistes, bien au contraire : « Si tu veux faire avancer tes idées dans notre société libre et démocratique, ce n’est pas en intimidant les citoyens qui ne partagent pas tes opinions, ou dont tu penses qu’ils ne partagent pas tes opinions. La diversité d’opinions, ça m’a souvent fait changer d’opinion, justement. Mais brûler mes autos, ce n’est pas de la discussion, c’est un acte d’intimidation. »

Ce qui l’insulte royalement, sachant à quel point il s’implique, depuis toujours, dans mille et une activités caritatives de toutes sortes. Autre ironie, note-t-il : les incendiaires ont écrit avoir ciblé « le bloc moteur de son Jaguar »… électrique.

« Dans le communiqué, on ne me reproche jamais d’être de cette opinion qu’il faut développer les hydrocarbures, non : on dit que je suis un oppresseur des pauvres et des opprimés parce que j’habite Mont-Royal ! »

Je résume : ces derniers mois, des excités ont vandalisé des succursales de la Banque Royale, la maison d’une dirigeante de la Banque Royale a été souillée et, la semaine passée, les véhicules d’un autre dirigeant de la RBC ont été incendiés…

Je demande à Michael Fortier ce que ça annonce, à son avis.

Réponse : « C’est une escalade. Ça annonce qu’ils pourraient, un jour, faire pire. Et “pire”, ça ne fera pas avancer leur cause. Au contraire… »