Puisque je vous dis (presque) tout, chers lecteurs, et qu’on ne va pas commencer (enfin, presque pas) à se faire des cachettes, permettez que je vous dise que j’ai subi une coloscopie, il y a quelques jours.

Totalement préventif. Antécédents familiaux.

J’en devine quelques-uns d’entre vous qui grimacent, à la lecture de ces mots et surtout à l’image qui vous vient en tête, celle de l’insertion d’un tube-caméra vous savez où…

Ouais. Je comprends.

J’y reviens dans un instant.

C’est une chronique sur la prévention.

Au Canada, 11 % de tous les cancers sont des cancers du côlon, au troisième rang en fréquence et au second rang en termes de mortalité. On parle de 24 800 cancers du côlon au pays en 2021, dont 6400 au Québec ; 9600 morts au Canada, 2600 au Québec.

Pris « à temps », c’est une saloperie éminemment traitable. Détecté à un stade avancé, là, comme toujours avec le crabe, c’est une autre paire de manches.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La Dre Mélanie Bélanger, présidente de l’Association des gastro-entérologues du Québec

C’est ici que la prévention est essentielle, me dit la Dre Mélanie Bélanger, présidente de l’Association des gastro-entérologues du Québec. La coloscopie est une forme de prévention, bien sûr, mais on l’utilise quand une personne a des symptômes ou quand elle a des antécédents familiaux (mon cas).

Il y a une autre forme de prévention, largement utilisée chez nos voisins de l’Ontario. C’est un autotest envoyé aux 50-74 ans, afin de détecter le sang occulte dans les selles.

Autotest, dans le sens où on le fait soi-même.

Occulte, dans le sens où le sang n’est pas visible à l’œil nu.

Dans les selles… J’ai pas besoin de vous faire un dessin.

En Ontario, tous ceux à risque moyen d’avoir un cancer du côlon (les 50-74 ans) sont invités à faire cet autotest (le TIF, pour test immunochimique fécal) qui est hyper-simple : on envoie un échantillon au labo par retour du courrier, l’échantillon est analysé et, si du sang occulte est détecté, on vous envoie passer une coloscopie.

Ainsi, des polypes précancéreux peuvent être zappés avant de se développer en cancer de stade 1, 2, 3 ou 4.

Pour l’individu, c’est fantastique : il s’évite les affres d’avoir à affronter un cancer, avec toutes les dévastations inhérentes.

Pour la société, c’est fantastique, pas besoin de vous faire un dessin : un polype zappé en coloscopie ne deviendra pas un cancer qui devra être traité en chirurgie et en oncologie, avec ce que ça implique de coûts et de ressources matérielles pour le système de santé.

Un polyquoi ? Un polype. Pensez à une verrue dans l’intestin. Tous les polypes dans l’intestin ne sont pas cancéreux. Mais tous les cancers du côlon commencent par un polype.

Tous les polypes sont donc zappés en coloscopie.

C’est la deuxième fois que je fais cette chronique, pour dire exactement la même chose.

La première fois, c’était en 2010. J’avais pondu pour La Presse une série sur le cancer, sur ma peur du cancer – mes parents sont tous deux morts du cancer. J’avais exploré ce mal tant pour le droit du public à l’information que pour exorciser mon histoire familiale, pour comprendre ce mal.

Et j’avais parlé de ma première coloscopie, pour souligner que le Québec n’a pas de programme organisé de dépistage du sang occulte dans les selles, pour les populations à risque moyen.

Permettez que je me cite : « Il n’y a pas, au Québec, de programme structuré de dépistage du cancer du côlon. En cela, le Québec est absolument cohérent avec sa façon bordélique de gérer la lutte contre le cancer… »

Je parlais de l’Ontario, qui avait lancé son projet pilote de dépistage du sang occulte dans les selles dès 2003. En 2010, la moitié des Ontariens moyennement à risque subissaient une forme ou une autre de dépistage.

En 2010, la communauté de l’oncologie du Québec réclamait déjà ces autotests à l’ontarienne, pour que plus de Québécois évitent des cancers du côlon…

Avancez le curseur à 2022 : rien. Rien n’a changé de ce bord-là.

C’est con, non ?

(Le test existe au Québec. Mais il n’est pas systématique pour les 50-74 ans, il faut le demander. Aujourd’hui, dès l’âge de 50 ans, même sans antécédents familiaux, vous devriez demander à votre médecin de passer un RSOSi, cet autotest de recherche de sang occulte dans les selles, équivalent du FIT ontarien. Et le refaire tous les deux ans.)

Dans cette époque où l’après-pandémie comportera son lot de rattrapage d’interventions chirurgicales de toutes sortes, si on pouvait zapper des polypes en évitant qu’ils ne deviennent des tumeurs qu’il faudra opérer, me semble que ce serait bon non seulement pour les Québécois, mais aussi pour le système de santé québécois…

Il y a des comités, il y a des réflexions, m’explique la Dre Mélanie Bélanger. Elle fait avancer la réflexion, dans certains de ces comités. Elle comprend la torpeur pandémique qui a figé le réseau. Mais elle sait que si nous imitions l’Ontario, des vies seraient sauvées, des ressources seraient mieux utilisées.

Ce qui manque, c’est le feu vert du gouvernement. Quand il va donner le feu vert, ça va aller vite.

La Dre Mélanie Bélanger, présidente de l’Association des gastro-entérologues du Québec

Par une nuit de novembre 2000, à la Cité-de-la-Santé, mon père est donc mort du cancer du côlon.

Il avait 53 ans.

C’est dire qu’à mon âge, à 50 ans, apparemment en santé, un polype se développait sournoisement dans le côlon de mon père. Tous les polypes ne sont pas des cancers, mais tous les cancers commencent par des polypes. C’était son cas.

Attrapé au stade de polype, son cancer ne se serait jamais développé. Il y a fort à parier que mon père serait actuellement en train de réaménager ma terrasse, dans ma cour, en ce samedi après-midi ensoleillé où j’écris cette chronique…

Mon père pouvait tout faire : il avait construit la maison familiale avec son père. Peinture, décapage, plomberie, isolation, installation de Gyproc, changement de planchers, etc. Mon père avait de la misère à exprimer ses sentiments, mais quand il venait monter une penderie IKEA à mon appart, c’était sa façon de me dire : « Je t’aime… »

Il aurait aussi connu ses trois petits-enfants, tous nés dans les années après sa mort, sa mort par cette nuit où la neige tombait sur Laval.

Je vous disais plus haut que la coloscopie implique l’insertion, là où le soleil ne brille pas, d’un tube-caméra. La sédation rend cette partie-là de l’affaire à peu près sans douleur, n’ayez crainte.

Non, le bout le plus dur, c’est dans les 24-30 heures avant. On ne peut pas manger pendant 24 heures. Et il faut vider les boyaux, à l’aide de laxatifs qu’il faut avaler. Dans mon cas (il en existe d’autres) : on dilue une solution dans 4 litres d’eau qu’il faut boire en deux coups, à coups de verre de 250 ml, toutes les 10 minutes…

C’est comme boire, disons, de l’eau de mer.

C’est… pas très l’fun, je vais être très honnête avec vous.

Mais savez-vous ce qui est encore moins l’fun que 16 verres de solution aqueuse un peu dégueu ?

Un cancer du côlon non détecté qui migre vers le foie, pis qui vous tue.

J’ai donc bu les 16 verres en pensant à toi, P’pa. À chaque gorgée. Ça m’a donné du courage.

J’aimerais ça que tu sois là, drette là, dans ma cour, à prendre des mesures pour la terrasse, avec ta ceinture à outils.

Me semble que tu t’entendrais bien avec le p’tit.