Permettez-moi d’être un peu brutale, mais il faut dire les choses comme elles sont : le club des wokes accepte vraiment n’importe qui. Après Gabriel Nadeau-Dubois et Dominique Anglade, voilà que François « Duplessis » Legault est devenu woke, cette semaine. Si on voulait une autre preuve que l’étiquette ne veut plus dire grand-chose, la voilà.

Non, mais c’est vrai, franchement, on entre dans ce club comme dans un moulin.

Ou comme au Parti conservateur du Québec.

C’est Éric Duhaime qui a traité ses trois rivaux de wokes, mercredi. Le chef du PCQ n’avait pas digéré que ses adversaires le somment de renoncer à présenter la candidature du DRoy Eappen aux élections d’octobre en raison de ses positions antiavortement.

Éric Duhaime a crié à la « culture de l’annulation ». Sans blague.

Il dit percevoir une inquiétante « dérive démocratique », rien de moins, dans les exhortations de ses rivaux politiques. Tous les Québécois sont égaux, proteste-t-il. Tous ont le droit d’être candidats à une élection, peu importent leurs convictions personnelles religieuses.

Personne ne conteste ça. Mais, inversement, les partis ont parfaitement le droit d’exclure des candidats qui ne reflètent pas leurs valeurs. Aucun d’eux n’est forcé d’accepter un candidat homophobe, misogyne ou antisémite. Ou antiavortement.

Il n’existe rien de tel qu’un droit fondamental à être candidat pour un parti. Ces clubs sélects – pas mal plus sélects que le club des wokes – peuvent très bien refuser des candidats, ne serait-ce que par souci de cohérence. Et ils le font, tout le temps.

Ça n’a rien à voir avec de la discrimination ni avec une dérive wokiste. Ça s’appelle de la politique.

Les convictions personnelles religieuses de Roy Eappen ne concernent que lui, proteste Éric Duhaime. Ce ne sont pas de nos affaires, d’autant que le DEappen a promis, si le PCQ accède au pouvoir, de ne pas chercher à légiférer.

Ça vous rassure, vous ? Pas moi.

Invoquer la vie privée du DEappen ne tient pas la route. D’abord parce qu’il s’est très publiquement prononcé contre l’avortement, à de nombreuses reprises, sur son blogue et sur Facebook. Ensuite parce qu’il n’a jamais promis de garder ses opinions pour lui. Au contraire, lorsqu’il a annoncé sa candidature, en mars, il a déclaré vouloir « parler aux gens » pour « changer leur opinion » …

Remarquez, il aurait tout à fait le droit de le faire. Mais sous la bannière du PCQ, vraiment ? Un parti officiellement pro-choix ? Le parti de la Liberté ?

Éric Duhaime n’éprouve-t-il pas de malaise à présenter ce candidat favorable à l’idée de restreindre la liberté des femmes à disposer de leur corps ?

« C’est quoi, la prochaine étape ? Les gens qui sont créationnistes n’auront plus le droit de se présenter aux élections ? », a demandé Éric Duhaime à mon collègue Charles Lecavalier.

Rassurons-le : ils auront toujours le droit. Pas sûre qu’ils soient élus, en revanche. Mais c’est un autre débat.

Retournons maintenant la question à M. Duhaime. Après la célèbre candidate antivaccin et le désormais célèbre candidat antiavortement, c’est quoi, la prochaine étape, pour le PCQ ?

Un candidat homophobe, peut-être ? Ou alors pro-charia ? Au nom de la liberté de conscience, le parti est-il prêt à accepter n’importe quelle candidature ?

Il y a une ligne rouge, a reconnu Éric Duhaime. Interrogé par Patrick Lagacé à 98,5 FM, le chef conservateur, ouvertement gai, a admis qu’il refuserait un candidat favorable aux thérapies de conversion. « Ce n’est jamais arrivé, cela n’arrivera pas, et si ça arrive, ben, c’est sûr que ça ne marcherait pas. Il ne pourrait pas me dire qu’il faut que j’aille en thérapie de conversion, quand même ! »

Même au PCQ, il y a des limites à la liberté de conscience.

Étrange d’entendre Éric Duhaime nous rappeler soudain toute l’importance de respecter les convictions religieuses des autres, lui qui propose de sélectionner les immigrants en fonction de leur « compatibilité civilisationnelle » avec les valeurs occidentales.

Éric Duhaime, lui, voit plutôt de l’hypocrisie dans le discours de Québec solidaire, un parti qui lui fait la morale sur l’avortement alors qu’il a présenté une candidate voilée aux dernières élections. « Pensez-vous vraiment qu’Eve Torres, qui porte le voile, c’est une femme qui est pro-choix, ça ? », a-t-il demandé sur les ondes de 98,5 FM.

Éric Duhaime tenait pour acquis que Mme Torres s’opposait à l’avortement. Tellement qu’il n’a pas pris la peine de lui demander.

Eve Torres lui a répondu sur Twitter : « Je suis une femme, certes musulmane, mais féministe et pro-choix d’aussi loin que je me souvienne. » Oups…

Tant pis. Comme disait Éric Duhaime à l’époque où il était animateur de radio : « Mieux vaut de la mauvaise information que pas d’information pantoute. »

On nous dira de ne pas nous énerver avec ça. Les électeurs, qui ne sont tout de même pas cons, trancheront aux urnes. Sans doute.

Mais on oublie que pendant des années, on a dit aux Américaines de ne pas s’énerver avec les groupes ultrareligieux déterminés à interdire l’avortement. On leur a dit que Roe c. Wade ne serait jamais, au grand jamais invalidé.

Puis Trump est arrivé. L’onde de choc n’a pas fini de se faire sentir. Il faut être naïf pour croire que le Québec et le Canada sont immunisés contre ce genre de bouleversements politiques.

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question, a dit un jour Simone de Beauvoir. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »