À la veille de la campagne électorale, François Legault sort sa gomme à effacer et enlève un nom de plus de sa liste d’ennemis.

Après avoir fait la paix avec le maire de Québec au sujet du tramway, il redonne à la mairesse de Montréal une raison de sourire. Valérie Plante participera enfin à l’élaboration du projet de REM de l’Est.

C’est donc la fin du mandat de CDPQ Infra, filiale de la Caisse de dépôt et placement. Son tronçon aérien au centre-ville ne passait tout simplement pas.

À ceux qui l’accusent d’arrogance, M. Legault pourra répondre qu’il a écouté les experts. De nombreux urbanistes et architectes s’inquiétaient de cette cicatrice aérienne. Le rapport du comité indépendant craignait aussi un effet de fracture visuelle dans le centre-ville. L’immense mur de béton antibruit ne les rassurait pas non plus.

Le comité rêvait d’une solution qui ne verra jamais le jour : un tronçon souterrain au centre-ville. Selon CDPQ Infra, c’était techniquement périlleux. M. Legault avait peur que cela devienne un trou noir financier.

Selon les prévisions de CDPQ Infra, près de 67 000 passagers auraient utilisé ce segment. Cela aurait compté pour 40 % des trajets quotidiens. Voilà une perte regrettable.

À cause du manque d’acceptabilité sociale, c’était prévisible. Ce qui étonne, c’est que M. Legault veuille prolonger le tracé à Laval et vers Lanaudière.

L’idée sort du champ droit… Cela hausserait le coût, compliquerait la réalisation (il faudrait creuser sous la rivière) et réduirait la pertinence. Ces zones étant moins densément peuplées, le nombre de passagers par station serait plus faible.

Ces options seront étudiées. Cela ne signifie pas qu’elles seront retenues.

Politiquement, c’est astucieux. À la veille de la prochaine campagne électorale, les caquistes laisseront miroiter un nouveau service de transport collectif dans les couronnes, sans qu’un seul dollar soit dépensé. Et ils calment la grogne face à la défiguration appréhendée du centre-ville.

La Chambre de commerce de l’Est de Montréal est amère. Elle dit « prendre acte » de la décision. Un euphémisme qui signifie habituellement : « On aimerait se plaindre, mais on se retient. »

François Legault et Valérie Plante jurent avoir une chose en commun : leur impatience. Ils risquent de se faire violence.

L’éjection de CDPQ Infra ralentira le projet. À partir de maintenant, tout sera plus compliqué. Le REM de l’Est sera piloté par Montréal, Québec, la STM, le MTQ et l’ARTM. Il y a congestion de sigles.

La lenteur vient toutefois avec un avantage : le recul critique.

CDPQ Infra avait une logique de financier. Elle cherchait un rendement. Cela l’incitait à vouloir maximiser les passagers, ce qui est positif. Mais elle le faisait sans vision d’ensemble. Dans ses calculs, une personne qui préfère le métro au REM, ça ne donnait rien.

Cela dit, elle ne faisait que suivre son mandat. La faute revient à Québec.

Il aurait été préférable que M. Legault procède dans l’ordre. En définissant d’abord le besoin, puis en cherchant la meilleure façon d’y répondre pour tout le réseau.

Ce travail de planification, c’était justement le rôle de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM). Depuis sa création en 2017, elle était contournée par les gouvernements et mal-aimée des villes. La nomination d’un nouveau président à l’ARTM, Patrick Savard, ne lui nuira pas. Mais Québec ne l’aide pas en lui imposant dès le départ d’étudier des tronçons à Laval et dans Lanaudière.

Si CDPQ Infra allait vite, c’est parce qu’on le lui permettait. Pour la première phrase du REM, elle avançait à la vitesse d’une Ferrari, et avec la délicatesse d’un bulldozer. Avec le REM de l’Est, elle était plus conciliante. Mais elle profitait néanmoins d’un processus allégé, notamment pour les expropriations, les appels d’offres et la documentation.

Pour éviter les délais, M. Legault et Mme Plante n’ont qu’à agir en conséquence. Il doit sûrement exister un équilibre entre le court-circuitage de la consultation et le cauchemar bureaucratique de projets comme le SRB Pie-IX.

Malgré la fin du tronçon aérien au centre-ville, plusieurs préoccupations demeurent.

Quoique moins controversée, la structure en hauteur dans Mercier fait aussi des mécontents. La circulation sur René-Lévesque ressemble par moments à celle d’une autoroute urbaine. On ignore comment intégrer un service de transport collectif structurant sur le boulevard Notre-Dame. Et le REM manque d’interconnexions avec le métro.

CDPQ Infra en proposait seulement une. Son argument : la ligne verte sera saturée à moyen terme. Il ne faudrait donc pas y envoyer trop de passagers.

Reste qu’avec une vision d’ensemble, on pourrait mieux planifier le réseau. Par exemple, renforcer l’alimentation électrique et la ventilation pour pouvoir augmenter la fréquence des wagons de métro, et transporter plus de gens.

Espérons aussi que les coûts d’intégration urbaine feront partie du projet. Il serait ingrat que Montréal ramasse la facture de ces travaux ingrats pendant que Québec coupe les rubans à la télé.

Dans une décennie, on se souviendra du 2 mai 2022 comme d’une date clé du REM de l’Est. Celle où il a commencé à dérailler. Ou encore, celle où il a été relancé pour le mieux.

Pour l’instant, les deux options demeurent possibles.