« Suzanne, c’est pour toi que je viens faire ça. »

C’est ce que s’est dit Claude Robillard, la gorge nouée, en revêtant pour la première fois sa veste bleue de bénévole au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

C’était il y a cinq ans. Le professeur de musique qui venait de prendre sa retraite cherchait une façon d’honorer la mémoire de sa sœur Suzanne, infirmière, emportée par un cancer un an auparavant.

Bien des gens ont une hantise des hôpitaux et n’y mettent les pieds qu’en cas d’extrême nécessité. Mais pour Claude Robillard, c’était un choix tout naturel. Pendant ses études, il a travaillé comme préposé aux bénéficiaires à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Là où on pourrait penser ne voir que la maladie et la mort, il voyait avant tout de la beauté. « Ça me touchait d’être dans un milieu hospitalier. J’avais l’impression que c’était un nid de fourmis où toutes les fourmis travaillent pour la reine. Et dans un hôpital, la reine et le roi sont les patients dans chacune de leurs chambres. »

Il disait à qui voulait l’entendre qu’au lieu d’un service militaire obligatoire, comme on en voit encore dans certains pays, on devrait imposer un service aux patients obligatoire. « Ça humaniserait le monde ! »

Auteur-compositeur-interprète, Claude Robillard, 67 ans, est un bénévole bien connu au CHUM. Je l’ai croisé alors que j’accompagnais ma mère à une séance de chimiothérapie. Ce matin-là, il nous a raconté, les yeux humides, qu’il était allé chanter Bonne fête à une jeune mère. En apercevant le bébé naissant dans les bras de sa maman, il était tout ému d’être témoin d’autant de beauté.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Claude Robillard

Il y a de la beauté au seuil de la vie, bien sûr. Mais aussi au seuil de la mort. Claude n’oubliera jamais cette fois où il a accompagné son collègue bénévole Roger, guitare à la main, qui est allé offrir une pause musicale à une dame âgée aux soins palliatifs. Au son de la musique, la dame s’est levée en s’appuyant sur le bord du lit. « Elle s’est mise à danser en faisant des gestes grandioses même si on voyait qu’elle était chambranlante. »

« Sa fille, un peu gênée, nous a dit : “Ma mère danse tout le temps. Elle a dansé toute sa vie.” »

Claude a encore des frissons quand il en parle. « Je me suis dit : “Quelle chance on a, nous, les bénévoles, de pouvoir vivre un moment aussi unique. Quelqu’un qui sait qui s’en va vers sa mort et qui danse…” C’était tellement beau. »

Au Centre intégré de cancérologie, Claude distribue du café aux patients. Mais le café, c’est bien sûr un prétexte pour approcher les gens, piquer une petite jasette et les faire rire bien souvent.

Il y a quelque temps, une carte laissée au personnel par une patiente reconnaissante a beaucoup touché le bénévole. « C’était écrit : “Jamais je n’avais pensé que des soins en chimiothérapie pouvaient être aussi joyeux et aussi drôles. Merci, Claude !” »

Claude s’est dit : « Mission accomplie. » « Tout ça me montre que les gens qui vivent des moments graves ne sont pas dénués d’humour, bien au contraire. C’est une façon aussi de rester debout face à la maladie. J’apprends beaucoup à travers eux. Des fois, j’ai l’impression que je prépare ma propre mort ! »

Lorsque des patients lui parlent de la mort, il ne fuit pas le sujet. « Pour moi, ce n’est pas un sujet tabou. Entendre le témoignage de quelqu’un qui sait que la mort approche, c’est un cadeau de la vie. C’est une expérience humaine bénéfique. »

En accompagnant sa sœur à la fin de sa vie, il s’était déjà mis à réfléchir à la façon dont il approcherait lui-même la mort dans un cas semblable. « Je me suis dit que le côté positif là-dedans, c’est qu’on peut finaliser nos amours. Contrairement à la personne qui meurt dans un accident sans avoir le temps de rien dire à personne. »

Parfois, il crée des liens avec des patients qui ont hérité bien malgré eux d’un « abonnement » au CHUM. Il se rappelle notamment cette dame, véritable battante, qui avait eu plusieurs récidives de cancer, et qui préparait sa cérémonie funéraire. Elle lui a lancé un jour : « Claude, il me semble que tu serais bon pour animer mes funérailles ? »

Parfois, il faut trouver les bons mots. Parfois, il faut lire les silences et savoir se taire.

Des infirmières, à la course entre deux patients, lui ont déjà dit : « Une chance que vous êtes là ! » « Elles rêveraient de prendre leur temps avec chaque patient. Mais le soin de l’âme, le personnel n’a pas nécessairement le temps de faire ça. »

Le CHUM compte 730 fourmis bénévoles comme Claude Robillard qui prêtent main-forte aux fourmis soignantes, aux patients et à leurs proches. Claude s’est inspiré de son expérience pour écrire une pièce de théâtre, ponctuée de chansons, qui parle du privilège d’être une fourmi au service des rois et des reines de l’hôpital.

« Mon rêve, c’était de présenter la pièce au CHUM il y a deux ans à l’occasion de la semaine de la reconnaissance des bénévoles. J’aimerais que la pièce ait un effet boule de neige et donne envie à des gens de devenir bénévoles dans les hôpitaux. »

Pandémie oblige, il lui a fallu reporter son rêve. On espérait pouvoir enfin présenter la pièce jeudi dernier à l’occasion de la Semaine d’action bénévole. Mais finalement, la sixième vague en a décidé autrement. C’est encore partie remise. Pour l’heure, seuls les rois et les reines de l’hôpital ont accès au spectacle à guichet fermé de la bonté des fourmis.

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