C’était fin janvier 2014, me semble-t-il. Le Québec se préparait à adopter un projet de loi avant-gardiste et transpartisan sur la fin de vie, qui donnait le droit aux Québécois de mourir dans la dignité.

Au moment de leur choix, en vertu de certaines conditions.

L’aboutissement de plusieurs années de débats, de réflexions, de consultations menées par les députés de l’Assemblée nationale, par le biais d’une commission parlementaire spéciale.

Ce soir-là, la marraine de cette idée, la ministre péquiste Véronique Hivon, celle qui avait proposé cette commission d’enquête dès 2009, était une des invités de Deux hommes en or, au Monument national.

À l’époque, nous enregistrions l’émission devant public.

Et quand l’animateur de foule a annoncé l’entrée de la députée de Joliette dans la place, elle a été applaudie comme une rock star. Les gens s’étaient levés pour l’accueillir. Pour une personne issue de la classe politique, c’est parfaitement anormal : les applaudissements sont généralement polis pour les élus, sans plus, sur ce genre de plateau de télévision.

Mais pour elle, pour Véronique Hivon, c’était différent. Le courant passait. Le monde l’avait adoptée, l’aimait. Ce combat politique tout en douceur pour que les Québécois puissent échapper — s’ils le désirent — aux affres du supplice d’une maladie incurable, Véronique Hivon l’incarnait, dans toute son humanité.

J’ai compris et surtout senti ce soir-là, en 2014, qu’elle avait touché le cœur des Québécois, qu’importe la couleur de leurs choix politiques. Je pense que cette affection est comme la commission spéciale qu'elle a co-présidée avec le libéral Geoffrey Kelley : transpartisane.

La loi a fini par être adoptée, échappant largement aux tiraillements partisans de l’Assemblée nationale. La Cour suprême du Canada, en janvier 2015, a rendu une décision qui allait faciliter l’approche québécoise.

Alors il y avait le fond : Véronique Hivon en est venue à incarner la lutte pour obtenir le droit de mourir dans la dignité, une idée qui faisait consensus dans la société, mais dont les parlements se tenaient loin.

Et il y avait la forme, aussi, il y avait le style Hivon : toujours dans la douceur — ce qui n’exclut pas la fermeté ! —, jamais dans la boue. Oui, le débat parlementaire peut être dur; oui, la joute politique est un sport de combat, mais avec Véronique Hivon, jamais de cette hargne qui mène à l’excès.

C’est rare, dans les parlements…

Je pense que ce style-là parlait au monde. Je pense que les Québécois qui ne sont pas des hyperpartisans, c’est-à-dire la majorité d’entre nous, aiment l’idée que les élus soient capables de débattre sans se battre, sans se salir, sans se diaboliser.

J’ai parlé cent fois à Véronique Hivon, dans ces années-là, pour des entrevues et pour des conversations off-the-record, afin de comprendre les fins détails du débat sur le droit de choisir le moment de sa mort. Et même en off, elle ne se laissait jamais aller à la colère envers ses adversaires, envers ceux qui — en politique et ailleurs — brandissaient le spectre de la pente glissante pour justifier leur opposition à l’aide médicale à mourir.

Les astres ne se sont jamais alignés pour que Véronique Hivon devienne cheffe du Parti québécois. On se souvient de son faux départ, pour cause de maladie. Elle incarnait quand même quelque chose comme la conscience du parti, sa conscience sociale-démocrate, cheffe ou pas. Son départ fait mal au PQ.

La députée de Joliette aurait-elle pu mener ce parti si difficile à mener, avec ce style tout en douceur ? J’en suis convaincu. Aurait-elle pu le mener à la victoire ? Les voies des Québécois sont insondables, mais je suis convaincu que sa cote d’amour n’aurait pas pâti d’un passage à la tête du PQ.

Elle a été brièvement ministre dans le bref gouvernement de Pauline Marois, mais l’essentiel de sa carrière s’est déroulé dans l’opposition entre 2008 et 2022, alors que la cause qui l’a motivée à entrer en politique — la souveraineté — entrait lentement, mais sûrement dans une phase de déclin. Elle fait partie de cette dernière génération de Québécois dont l’éducation politique s’est faite autour de la souveraineté.

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Je souligne que Véronique Hivon est entrée en politique à 38 ans, elle la quittera à 52 ans. Les meilleures années de sa vie professionnelle, elle les a consacrées à la chose publique. Pour cette avocate diplômée de grandes écoles — McGill, London School of Economics —, ces années auraient pu être fort lucratives dans le secteur privé, mauditement plus que comme députée de Joliette. Qu’importe ce qu’elle fera plus tard, je crois pouvoir dire sans me tromper que « députée de Joliette » restera sa meilleure job à vie.

Je crois qu’elle fera partie de ces « ex » à qui les Québécois donnent respectueusement du « Madame » ou du « Monsieur ».

Vous aurez compris qu’aujourd’hui, j’applaudis moi aussi la carrière politique de Mme Hivon, qui incarne le meilleur de cette vieille idée : le service public.