Vous vous souvenez ? On vidait les hôpitaux du plus grand nombre de vieux-malades possible pour les fourguer dans des CHSLD.

Une personne, une seule, dans le gouvernement Legault « hurlait » d’arrêter ça : Marguerite Blais.

Non, vous ne vous souvenez pas, et moi non plus. Personne ne l’a vu, personne ne l’a su.

Alors, deux ans plus tard, elle est l’incompétente en chef. Celle qui aurait été « avertie » de la tragédie du CHSLD Herron, mais n’a « rien fait ».

C’est faux, c’est injuste, mais c’est commode.

Au bout d’une semaine d’attaques exagérées à l’Assemblée nationale (un « Watergate » québécois, rien que ça !), une source au gouvernement a coulé l’info : Marguerite Blais ne se représentera pas aux élections. Nulle surprise ici. À 71 ans, déjà brisée par la pandémie, on s’y attendait. On ne lui aura pas laissé un petit reste de dignité politique pour qu’elle l’annonce elle-même.

Ce ne sera pas la première à Québec qu’on jette sous un autobus. Encore chanceuse que le projet de tramway ne soit pas terminé.

Pensez ce que vous voulez de Marguerite Blais. Il y a un truc sur lequel on ne peut pas l’attaquer : le transfert des patients vers les CHSLD au début de la pandémie. Cette décision a contribué à faire du Québec le lieu au Canada où l’on a déploré le plus de morts.

Mais de 5060, ce livre nécessaire qui vient d’être publié par Katia Gagnon, Ariane Lacoursière et Gabrielle Duchaine⁠1, il ressort clairement que la « ministre des Aînés » n’a rien eu à voir avec ça. Mieux : elle s’est battue avec sa directrice de cabinet Pascale Fréchette pour l’empêcher.

« S’il n’y avait pas eu Marguerite Blais et Pascale Fréchette, on aurait encore perdu plus de temps avant de se rendre compte qu’il se passait quelque chose [dans les CHSLD] », a reconnu dans ce livre Jonathan Valois, ancien chef de cabinet de Danielle McCann à la Santé – elle aussi virée sans ménagement.

Mme Fréchette connaît le réseau comme personne, et quand elle a appris que ces transferts massifs avaient lieu, elle a sonné l’alarme autant qu’elle a pu. Marguerite Blais a « hurlé » autant qu’une ministre sans réel pouvoir pouvait le faire.

Car dans ce formidable système, les CHSLD relèvent de la Santé. La ministre des Vieux, pardon, des Aînés, peut bien hurler, elle ne décide de rien. Elle figure.

Oublions Marguerite Blais un instant.

Ce qui s’est passé dans les CHSLD, cette hécatombe que documentent mes collègues, croyez-vous vraiment qu’elle aurait été évitée si un autre parti avait été au pouvoir ?

Dans une urgence aussi énorme, aussi absolue, le gouvernement s’en remet à sa machine. Qu’a dit la machine ? Il faut sauver les hôpitaux.

Soit pour libérer des lits, ce qui est parfaitement défendable vu ce qui se passait en Europe et à New York.

Soit pour sortir des hôpitaux les plus vulnérables pour les envoyer « en sécurité » dans les CHSLD. Le virus arrivait alors par avion, et les malades allaient emplir les hôpitaux rapidement. Ce n’était pas en soi mal avisé de sortir les plus vulnérables.

On sait maintenant que ces transferts ont emmené le virus dans 274 établissements sous-équipés, en pénurie de tout, et de main-d’œuvre, surtout. On sait maintenant qu’on n’aurait pas dû faire ça, du moins pas comme ça.

Mais avec un minimum de mémoire et d’honnêteté intellectuelle, on ne peut pas prétendre qu’on savait dès le départ quelle catastrophe était en train de se produire.

Les libéraux, les péquistes, Québec solidaire : ils auraient suivi les mêmes conseils dans ces premières semaines fatidiques. Si je me souviens bien, ils n’ont pas levé la main pour nous dire comment mieux faire, à ce moment-là.

Je ne les blâme pas non plus. Mais on a oublié à quelle vitesse la mort s’est propagée, et comment ces quelques décisions ont eu des conséquences catastrophiques.

En 2003, il y avait 42 000 places en CHSLD. Dix ans plus tard, dans la première incarnation politique libérale de Mme Blais, il y en avait 38 000.

Les places manquaient tellement qu’on fermait les yeux sur tous les Herron du réseau. Cette minorité de centres privés allant de médiocres à pourris, au lieu de se faire fermer, étaient « accompagnés ». Les gens étaient mal traités, mal soignés, mal médicamentés – au moins 10 morts par année pour cause de négligence entre 1998 et 2018.

Encore là, 5060 documente très bien la mécanique : il faut « couper » des lits d’hôpital, donc envoyer vers des centres d’hébergement. Alors on fait avec les Herron.

Tout ce système de négligence et de sous-financement s’est sédimenté sur des décennies. Quand la pandémie éclate, la Coalition avenir Québec est au pouvoir depuis 15 mois. Mais le problème existe depuis 30 ans. Et moi comme vous (non, pas vous, je sais), j’ai regardé ailleurs le plus souvent possible quand le sujet refaisait surface.

Alors, je veux bien que Marguerite Blais n’ait pas réinventé la grande roue de la bienveillance envers les aînés. Je veux bien croire qu’elle a eu la naïveté ou la prétention de vendre des réformes qu’elle n’avait pas les moyens de livrer, ou qu’elle aurait dû le savoir. Elle était une ministre de façade pour un deuxième parti et l’acceptait. On peut sûrement lui reprocher d’avoir poussé la solidarité ministérielle jusqu’à tout oublier commodément devant la coroner, alors qu’elle venait de donner plusieurs détails à mes collègues. Drôle un peu de l’entendre dire que tout est devenu flou « comme une toile impressionniste ». En principe, chez les impressionnistes, plus on s’éloigne de l’œuvre, plus clair est le portrait…

N’empêche : pour ce bout-là, celui des premières semaines de la pandémie, elle a fait ce que pouvait une ministre sans pouvoir : crier, dire les choses.

Oui, mais ce courriel « d’urgence » envoyé au bureau de la ministre le 30 mars au sujet de Herron ? La responsable du CIUSSS a dit que « tout était sous contrôle ». C’était totalement faux.

Mais en même temps, en quelques jours seulement, en avril, on comptait des éclosions mortelles dans 274 CHSLD. Est-ce que la ministre était censée enfiler une combinaison et inspecter elle-même ce CHSLD spécifiquement atroce ?

Si on veut faire ce procès, va falloir être une grosse gang au banc des accusés.

1. 5060 – l’hécatombe de la COVID-19 dans nos CHSLD, Boréal