« C’est qui, le gars à côté de Joe Gagnon ? » La réponse à cette blague qu’affectionnait mon père quand j’étais enfant était « le pape ». Je riais. J’adorais l’idée qu’une vedette locale puisse éclipser en célébrité – ne serait-ce qu’une seconde – l’un des visages les plus connus de la planète.

Cette plaisanterie m’est revenue en tête la semaine dernière. J’étais en vacances familiales à Rome quand j’ai vu une photo de Phil Fontaine, l’ancien chef national de l’Assemblée des Premières Nations, en audience avec le pape François. « C’est qui, le gars à côté de Phil Fontaine ? », ai-je pensé.

Sauf que cette fois, ce n’était pas une blague.

Vendredi dernier, celui qui détenait l’autorité morale lors de la dernière audience papale avec la grande délégation autochtone canadienne, ce n’était pas Jorge Mario Bergoglio, l’homme d’Église argentin qui est devenu souverain pontife en 2013, mais bien Phil Fontaine, le premier chef autochtone canadien à avoir brisé le silence sur les horreurs des pensionnats pour Autochtones et qui est depuis en quête de vérité et de justice. Une quête qui dure depuis 31 ans et qui a, à bien des égards, transformé le Canada.

En 1991, c’est sur les ondes de CBC que Phil Fontaine a témoigné pour la première fois et avec une immense pudeur des abus « physiques, psychologiques » ainsi que « des privations et des abus sexuels » que lui et ses pairs avaient subis dans le pensionnat pour Autochtones de Fort Alexander, dirigé par des catholiques de l’ordre des Oblats.

Voyez le premier témoignage de Phil Fontaine sur les pensionnats autochtones (en anglais)

« Quand j’ai témoigné au tout début, je n’avais aucune idée des répercussions de ce témoignage. Ce qui était important pour moi, c’est que ce qui s’était passé dans les pensionnats autochtones soit enfin public. Je voulais une enquête. Depuis, ça a été un long chemin. Nous n’avons jamais abandonné, jamais perdu espoir », m’a-t-il raconté cette semaine, à partir de sa résidence de Calgary.

« Je voulais que quelqu’un accepte la responsabilité de ce qui était arrivé et que cette personne dise : je suis désolée. À l’époque, je ne pensais pas que le pape allait s’excuser à Rome et qu’il viendrait ensuite le faire sur le sol canadien », dit le leader ojibwé, aujourd’hui âgé de 77 ans, en parlant de la promesse du pape de venir au Canada au cours des prochains mois.

Phil Fontaine ne tenait rien pour acquis, mais il a travaillé d’arrache-pied pour que le pape présente enfin des excuses. Après tout, ce sont des organisations catholiques qui, avec l’assentiment du gouvernement canadien, ont administré les trois quarts des 139 pensionnats qui, de 1850 à 1996, ont eu pour principal objectif d’acculturer plus de 150 000 enfants autochtones. Au moins 4100 enfants sont morts dans ces terribles écoles, gérées par des communautés religieuses, mais financées par l’État.

En 2009, le chef Fontaine a fait le voyage jusqu’à Rome pour rencontrer Benoît XVI. À l’époque, il venait tout juste de conclure une entente historique avec le gouvernement canadien pour dédommager plus de 28 000 survivants et mettre sur pied la Commission de vérité et de réconciliation.

Au Vatican, confronté aux faits accablants, le pape avait exprimé sa « tristesse » à l’égard de la conduite déplorable de certains membres de l’Église, mais n’avait pas présenté d’excuses.

Phil Fontaine et ses alliés, notamment au sein de la Conférence canadienne des évêques catholiques, n’ont pas baissé les bras. En 2018, ils ont essuyé un premier revers avec le pape François. Malgré une demande de Justin Trudeau, le Saint-Père s’est d’abord estimé « incapable de répondre à la demande d’excuses » en 2018. Trois ans plus tôt, il avait pourtant présenté des excuses aux Autochtones de Bolivie pour les immenses torts causés pendant l’époque coloniale.

La terrible découverte de sépultures anonymes d’enfants près d’anciens pensionnats pour Autochtones dans l’ouest du pays semble avoir ébranlé le Vatican autant que le reste du monde, et l’an dernier, la délégation canadienne a reçu une nouvelle invitation à se rendre au Vatican.

Avant de s’adresser aux délégués le 1er avril, le pape a écouté pendant quatre heures les récits des survivants. « Ces rencontres privées étaient très spéciales. Nous avons eu l’occasion de dire notre vérité. Le pape a répondu à ce qu’il a entendu », dit Phil Fontaine, qui croit profondément aux vertus guérisseuses des excuses.

« C’est ce que beaucoup d’entre nous veulent, la guérison », ajoute-t-il. C’est dans cette optique qu’il suggérera au pape des lieux importants à visiter lors de sa venue au Canada : Saint-Boniface, Winnipeg, Kamloops, des lieux marqués par l’histoire autochtone et par les souffrances qui leur ont été infligées.

J’étais sur la place Saint-Pierre quand la délégation autochtone est sortie de l’audience papale, vendredi dernier. Juste après les excuses tant attendues. On lisait de la fierté et du soulagement sur les visages des leaders inuits, métis et des Premières Nations qui ont pris la parole. Phil Fontaine était du nombre.

Émue, je combattais tant bien que mal le sentiment de l’imposteur. Un sentiment à proscrire, croit le leader ojibwé. « Je pense que tous les Canadiens doivent saisir ce moment et célébrer avec nous ce périple qui est le nôtre. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour arriver à une véritable réconciliation, pour faire du Canada un pays meilleur, note-t-il. Accepter des excuses, ce n’est pas accorder une absolution. »