C’est l’histoire de parents séparés qui ont deux enfants de 8 et 10 ans. Les parents ne s’entendent pas sur la vaccination. Ils vivent un litige sur ce que le droit appelle l’« exercice de l’autorité parentale ».

La mère veut faire vacciner les enfants contre la COVID-19.

Le père ne veut pas que les enfants se fassent vacciner.

À qui revient, dans une cause pareille, l’autorité parentale ?

C’est ici que la Cour supérieure, district de Longueuil, entre en scène. La juge Marie-Claude Armstrong doit trancher ce litige, après deux jours d’audience, les 22 et 23 février.

Et le 25 février, la juge Armstrong tranche comme l’immense majorité des juges canadiens dans des cas semblables : en faveur du parent qui souhaite que les enfants se fassent vacciner, au nom de l’intérêt de l’enfant.

Les tribunaux ne sont pas des comités de révision par des pairs de revues scientifiques. Dans les différends vaccinaux, ils penchent généralement du bord des recommandations de la Santé publique. Exception : si l’enfant a des antécédents médicaux qui rendraient la vaccination contre-indiquée…

Ce qu’il faut prouver.

La juge Armstrong a donc constaté que les deux enfants, selon leur pédiatre, n’avaient pas d’antécédents médicaux rendant la vaccination dangereuse. La juge a aussi entendu un microbiologiste à la retraite, sans lui conférer le statut de témoin expert, comme il n’a aucune compétence en santé publique.

Dans sa décision, la juge a autorisé « la mère à prendre seule les mesures nécessaires afin que les enfants reçoivent les deux doses du vaccin contre la COVID-19 sans l’autorisation du père ».

Jusqu’ici, c’est un cas classique de désaccord entre parents au sujet de la vaccination des enfants, qui s’est réglé de façon classique : le parent antivax a perdu.

Antivax ? C’est mon terme, pas celui de la juge. Mais la décision cite un texto du père à la mère le 7 décembre 2021, alors qu’il lui envoyait une vidéo sur les vaccins : « BOOM ! Les vaccinés sont pucés et détectables par Bluetooth et 5G. »

Je cite la juge, sur le fond des choses : « En raison de l’état du droit actuel au Québec sur la question de la vaccination des enfants contre la COVID-19, un parent doit comprendre que tant que les autorités de la Santé publique continueront de recommander telle vaccination pour le groupe d’âge dont l’enfant concerné par la demande de vaccination fait partie, le parent qui demande la vaccination aura vraisemblablement, sauf circonstances exceptionnelles, gain de cause, dans le meilleur intérêt de l’enfant. »

Rien ne détonne dans cette décision, qui fait même référence à trois décisions de la Cour d’appel du Québec rendues dans le seul mois de février au sujet de la vaccination des enfants : les tribunaux ne sont pas le forum pour un débat pro ou antivaccination, ils tranchent en vertu de l’intérêt de l’enfant.

Non, ce qui détonne dans la cause dont je vous parle, c’est la conduite de l’avocate du père, MMyriam Bohémier, devant le tribunal.

La juge Armstrong, dans sa décision du 25 février dernier, a souligné combien l’avocate Bohémier avait rendu les audiences « difficiles », par sa conduite en Cour : « L’ambiance tendue de façon quasi constante résultant des comportements colériques, agressifs, vindicatifs et déplacés de l’avocate du père [a] empêché que l’instruction procède de manière efficace, courtoise et sereine, comme il se devrait. »

PHOTO TIRÉE DU PROFIL LINKEDIN DE MYRIAM BOHÉMIER

Me Myriam Bohémier

Et selon une personne qui se trouvait dans la salle d’audience, la juge Armstrong a dû interrompre le procès à un certain point, devant la conduite de MBohémier. Les constables spéciaux du palais de justice ont alors escorté l’avocate hors de la salle d’audience, pendant un moment. Le procès a pu reprendre par la suite.

Dans la cause qui nous occupe, MBohémier a remis en question l’impartialité de la juge Armstrong. Elle l’a invitée à se récuser, ce que la juge a refusé de faire. L’avocate a porté plainte au Conseil de la magistrature du Canada, après la première journée de procès.

Je souligne ici que Myriam Bohémier est ouvertement et publiquement opposée à la vaccination. Elle ne s’en cache pas. MBohémier s’est impliquée au sein du mouvement antisanitaire Réinfo COVID-191, dont les faussetés pseudoscientifiques ont été démontées, notamment par l’équipe de l’émission Les Décrypteurs2.

Je note qu’alors même qu’elle plaidait la cause du père antivax que j’évoque dans cette chronique, MBohémier a vu la Cour d’appel débouter une autre de ses clientes qui s’opposait à la vaccination de ses enfants, le 23 février.

Dans ce cas, encore une fois, l’impartialité du juge de première instance était contestée par la cliente de MBohémier, qui accusait le magistrat de « parti pris évident en faveur de la vaccination », ce qui aurait empêché l’appelante de « présenter sa preuve ».

La Cour d’appel a rejeté les prétentions de la cliente de MBohémier et maintenu l’ordonnance d’autorisation de vaccination de deux enfants de 6 et 8 ans.

J’ai contacté MMyriam Bohémier. Je voulais lui donner l’occasion de donner sa version des faits, au sujet des mots très durs que la juge Armstrong a eus à propos de son comportement en Cour, les 22 et 23 février.

MBohémier m’a d’abord confirmé qu’elle avait porté plainte au Conseil de la magistrature et que le dossier était en appel.

Et Myriam Bohémier m’a dit ceci : « Les parents qui contestent la vaccination de leurs enfants n’ont pas le droit de contester les recommandations de la Santé publique, parce qu’il s’agirait d’un débat de droit public, bien que ces recommandations ne soient pas obligatoires. Pour ce qui est de mon comportement, ce que rapporte la juge est inexact et je le conteste tant en Cour d’appel qu’au Conseil canadien de la magistrature. Si vous écrivez à ce sujet, vous recevrez une poursuite de ma part pour atteinte à ma réputation. »

Les décisions judiciaires étant publiques au Canada, La Presse ne s’empêchera pas de citer la décision d’une juge, même quand cette décision souligne les comportements « colériques, agressifs, vindicatifs et déplacés » d’une avocate, en l’occurrence MMyriam Bohémier.

J’ajoute qu’il est sain de constater qu’une juge s’attend à plus de décorum de la part d’une avocate dans sa Cour que ce qu’on attend d’une troll dans un forum de discussion Facebook.

1. Lisez un article de Droit-Inc 2. Lisez un article des Décrypteurs