Tout n’est pas réglé, malheureusement.

En annonçant que les tarifs d’électricité n’augmenteraient pas au même rythme que l’inflation en 2023, le gouvernement caquiste n’a pas corrigé le cœur du problème.

Des problèmes, en fait.

Soit le manque de reddition de comptes imposée à Hydro-Québec. Le manque de prévisibilité des tarifs. Leur impact sur les ménages à faible revenu. Et, enfin, la politisation arbitraire du dossier.

C’était pourtant écrit dans le ciel.

En 2019, un rare front commun se créait pour dénoncer le projet de loi 34 qui soustrayait la société d’État à son examen annuel devant la Régie de l’énergie.

Elle n’aurait qu’à comparaître tous les cinq ans pour justifier ses tarifs. Le reste du temps, la facture serait arrimée à la hausse du coût de la vie plutôt qu’à ses coûts de production.

Le libéral Carlos Leitão mettait pourtant le gouvernement en garde contre un choc causé par une montée soudaine de l’inflation. Les caquistes avaient ri de lui…

Les péquistes et les solidaires aussi étaient contre. Tout comme les groupes de défense des consommateurs ainsi que les lobbys des petites entreprises et des industries énergivores.

Seule Hydro-Québec était d’accord, et on comprend pourquoi. En 2016, 2017, 2018 et 2019, elle avait demandé une indexation se situant entre 1,2 % et 1,7 %. Ce qui lui a été refusé. La hausse accordée a été inférieure à 1 %.

La loi caquiste lui a offert des revenus supérieurs sur un plateau d’argent tout en la dispensant de son examen annuel. Le monopole d’État devenait encore plus puissant.

Les tarifs sont ajustés en avril en fonction de l’inflation de l’année précédente. Cette année, la hausse sera de 2,6 %. Le bond appréhendé surviendrait en avril 2023. Québec a donc encore une année pour trouver une façon de contourner sa propre loi.

L’augmentation pourrait être plafonnée à 4 % ou être compensée par un versement d’argent. Dans ce cas, ce serait un bien petit diachylon – la hausse de 2024 étant calculée à partir du tarif de 2023, l’effet cumulatif serait le même à long terme.

Peu importe le choix, cela restera une intervention politique a posteriori. Le contraire d’un mécanisme indépendant et prévisible, ce qui devait être l’objectif de la loi.

Pour se défendre, le gouvernement caquiste rappelle que c’est pire ailleurs. Par exemple, la facture des clients de l’État de New York a bondi de 50 % depuis décembre.

La CAQ relativise aussi l’impact sur les ménages. Prenons l’exemple d’une famille en appartement qui paye 200 $ par mois. Une hausse de 3 % coûterait moins de 100 $ par année. Vrai, on a déjà vu pire choc… Mais en ajoutant l’inflation de la facture d’épicerie, du logement et de l’essence, ça commence à faire mal. Et parmi toutes ces factures, celle de l’électricité est la seule que le Québec contrôle entièrement.

L’opposition propose un gel temporaire des tarifs. François Legault rétorque qu’elle avantagerait les propriétaires de grosses maisons énergivores. Selon lui, ce serait à la fois régressif et peu écologique.

J’étais du même avis avant de fouiller un peu les chiffres. Après en avoir discuté avec l’analyste Jean-François Blain, je réalise que c’est plus compliqué.

Il n’y a pas de lien direct entre le revenu et la consommation.

La tarification actuelle compte deux paliers. Au-delà d’une consommation de 40 kilowattheures par jour, le prix augmente. En 2018, la vérificatrice générale concluait que cela atténue l’effet de la hausse des tarifs pour la plupart des gens à faible revenu.

M. Blain arrive à des conclusions différentes. Une maison neuve avec des matériaux de luxe peut avoir une consommation faible tandis qu’une autre à trois étages avec un sauna et une piscine peut être énergivore.

Quant aux ménages moins fortunés, ils sont plus susceptibles d’habiter un logement mal isolé.

Le tiers des gens à faible revenu sont propriétaires, souvent de résidences en mauvais état en banlieue ou en région. Leur électricité leur sert proportionnellement davantage à se chauffer – au lieu par exemple de faire fonctionner une sécheuse ou une piscine.

Durant l’hiver, leur consommation grimpe donc plus que celle des autres ménages. Ils risquent ainsi de passer au palier de tarification le plus onéreux.

À la fin de 2021, 180 000 clients avaient dû prendre une entente pour différer leur paiement.

En 2019, plus de 55 000 résidences avaient été débranchées à cause d’un compte en souffrance – je rappelle toutefois qu’Hydro-Québec n’interrompt pas le service des clients durant l’hiver et que cette pratique a aussi été suspendue durant la pandémie.

Au lieu de débattre sur le choix du diachylon, pourquoi ne pas chercher un véritable remède ? Comme une tarification qui encourage l’efficacité énergétique sans pénaliser les ménages aux revenus modestes ? Un troisième palier de tarification qui ciblerait les grosses maisons énergivores, accompagné d’un meilleur programme de rénovations vertes ?

Quand il a baissé la taxe scolaire, François Legault a été accusé de favoriser les riches.

C’était vrai : plus votre maison vaut cher, plus la baisse de la taxe entraîne de grandes économies. Et bien sûr, les locataires n’en bénéficient pas.

Le premier ministre sert maintenant le même argument aux partis de l’opposition pour l’électricité. Les principes varient selon le sujet du jour.

Si la justice sociale, la fiscalité et le logement intéressent nos élus, ils pourraient s’intéresser à d’autres dossiers.

Pendant qu’on s’affronte au sujet d’une hausse mensuelle d’une dizaine de dollars pour la plupart des ménages, on ne parle pas de la flambée immobilière. Les locataires en souffrent tandis que des propriétaires en profitent.

Que penser dans ce contexte de l’exemption du gain en capital pour une résidence principale ? Est-ce normal qu’elle s’applique sans limite, même pour un somptueux manoir vendu avec un profit de plusieurs millions de dollars ?

Ça aussi, ce serait un beau débat…