Pendant que vous lisez ces mots, si la météo ne s’est pas trompée, une tempête devrait être en train de déferler à quelques pieds. Je nous le souhaite. Il n’y a rien comme une tempête de neige en plein après-midi de congé. Nul besoin de l’affronter. Au contraire. On peut même l’apprécier. Fermer nos écrans. S’asseoir devant la fenêtre. Et la regarder aller. Comme on regarde un show. Au chaud.

En quelques secondes, elle nous transporte dans un autre monde. Tellement notre rue ne se ressemble plus. Tellement notre rue n’est plus du déjà-vu.

Il fait tempête. Il fait temps fête. Des milliards de confettis tombent et virevoltent. Le ciel se marie avec la terre. Dans un grand bal en blanc. Les invités impromptus n’ont pas le choix. Les arbres, les bancs, les voitures, les passants sont blanchis, eux aussi.

OK, ça va faire, la poésie ! Espèce de Nelligan du samedi ! Après tout, c’est une chronique qu’on est censé avoir ici. Mais j’ai beau la noircir, la page reste blanche. Comme si les mots disparaissaient sous l’avalanche. C’est l’effet contraire des éléments extrêmes. Ce n’est pas le calme après la tempête. C’est le calme durant la tempête. Rien n’est plus apaisant que d’observer le blizzard dehors, dans le confort de son dedans. Et de l’apaisement, on en a bien besoin, en ce moment.

Mais pas tant que d’autres au loin.

On a beau se perdre dans nos pensées, la réalité finit toujours par nous retrouver. On se sent si chanceux, dans notre nid douillet, à regarder neiger, si bien à l’abri, qu’on finit par se sentir mal pour celles et ceux qui ont dû quitter le leur, parce que du ciel tombaient des bombes.

La tempête de feu qui blesse et qui tue. Qui couvre de rouge le paysage. Qui détruit la vie.

Comme ça doit être effrayant de réaliser que notre place, notre foyer, notre maison, c’est l’endroit à quitter. C’est tellement absurde de fuir son repaire pour sauver sa peau. Notre rue, notre quartier, notre ville, notre pays ne peuvent nous protéger. La seule issue est l’inconnu. Parce que tout notre connu est brûlé.

Si le Canada a un rôle à jouer, dans ce drame historique qui se déroule en ce moment, c’est celui de l’accueillant. Nos armes et nos armées ne font pas peur à la Russie. Et nos sanctions économiques ont leurs limites. Ce qui est immense, ici, c’est notre territoire et notre cœur. Ouvrons les deux au peuple ukrainien. Sans attendre.

Jeudi dernier, à l’émission Tout un matin, sur ICI Première, une Québécoise d’origine ukrainienne, Olena Polonska, racontait à quel point elle se heurtait à une bureaucratie inhumaine, en voulant faire venir chez nous sa mère, son amie et la fille de son amie. Aux dernières nouvelles, elle n’y était toujours pas parvenue. Trois femmes fuient les horreurs de la guerre, ce n’est pas le temps de leur faire vivre les 12 travaux d’Astérix. C’est honteux. Peut-on en faire une priorité nationale ? Pas juste pour elles, pour tous les réfugiés d’Ukraine qui veulent se poser ici. Peut-on se mettre en mode urgence, plutôt que de fermer l’ambassade à midi ? On le sait, il n’y a qu’une façon de faire bouger les autorités, c’est la pression populaire. Alors, pressons-les pour qu’ils se pressent.

Nous sommes tellement impuissants face à ce conflit, quand nous pouvons faire quelque chose, faisons-le, bon sang !

Ce que Trudeau aurait pu faire de plus grand, durant son voyage en Europe, c’est de ramener avec lui des gens. Les victimes vivantes de cet enfer. Aidons-les concrètement.

On va dépomper, mais pas trop. Retournons à la fenêtre. Respirer des yeux. Apprécier notre chance de vivre du bon côté de l’hiver. Là où sur la neige s’écrivent ces vers :

De ce grand pays solitaire
Je crie avant que de me taire
À tous les hommes de la terre
Ma maison, c’est votre maison
Entre ses quatre murs de glace
Je mets mon temps et mon espace
À préparer le feu, la place
Pour les humains de l’horizon
Et les humains sont de ma race

On n’a jamais rien écrit de plus beau sur la nature d’un pays et la nature de ses habitants. Merci, monsieur Vigneault.

C’était la chronique d’un samedi enneigé, verglacé ou pluvieux, ou les trois. Comme nos pensées.