Bien sûr qu’il y a une asymétrie de l’indignation. Bien sûr que la proximité culturelle et géographique de l’Ukraine touche une corde sensible dans les pays de ce qu’on appelle l’Occident.

Pendant ce temps, l’Arabie saoudite et l’Iran se font indirectement la guerre au Yémen depuis 2015, un conflit horrible : environ 377 000 morts, la plupart de faim et de maladies, en marge des morts par balle et par bombe1.

Le sait-on seulement ?

Pas tellement.

C’est « loin », le Yémen, loin de « notre » monde. Et les États démocratiques ne font pas tout un boucan à propos de ce qui se passe là-bas, justement parce que c’est « loin »…

Et, aussi, bien sûr parce que l’Arabie saoudite est notre fidèle et loyale pompiste. Les dénonciations des exactions saoudiennes sont plus rares que celles de Russes, mettons.

Des voix se sont élevées ces derniers jours pour dénoncer cette asymétrie de l’indignation dans la levée de boucliers condamnant l’agression russe en Ukraine. Parmi ces voix, des accusations de racisme.

C’est ce qu’a dénoncé dans La Presse l’avocat Fabrice Vil2, vendredi, citant des propos souvent délirants de journalistes français sur les réfugiés ukrainiens, dont cette perle : « Il y a une différence entre les Ukrainiens qui, encore une fois, participent à notre espace civilisationnel et des populations qui appartiennent à d’autres civilisations… »

Il y a aussi eu cette journaliste américaine qui a parlé de ces Ukrainiens, « des chrétiens, blancs, très semblables à nous », sur NBC3. « Caucasité », comme disait Fabrice Vil.

Je ne doute pas une seconde qu’il y ait une part de racisme et de préjugés inconscients qui explique pourquoi les réfugiés syriens ont été méprisés avec un zèle xénophobe assumé, en certains cercles.

Les réfugiés ukrainiens, eux, font l’unanimité, a contrario. Tout le monde veut les aider…

Presque tout le monde, en fait. Chez les récalcitrants, une poignée de fachos 2.0 comme Éric Zemmour, candidat à la présidence française, qui ne veut pas les voir en France4. Les Ukrainiens, il préférerait que la Pologne les garde. Mais bon, Zemmour, hier, cirait les bottes d’un autre facho bandé sur la grandeur perdue de la Nation – Vladimir Poutine –, je ne pense pas qu’il ait perdu son pot de cire maintenant que les missiles russes dévastent l’Ukraine…

À propos, peut-être qu’il faudra se méfier des gens qui promettent de restaurer la grandeur perdue des Nations, qu’importent les Nations. Ce sera l’objet d’une autre chronique.

Où m’en allais-je, avec mes skis ?

Ah, oui, l’asymétrie de l’indignation. Sans doute y a-t-il une part de racisme, là-dedans. Mais je pense que c’est aussi une affaire de proximité : le meurtre commis dans votre rue vous inquiétera toujours plus que le meurtre commis à l’autre bout de la ville, à l’autre bout du pays.

Idem pour les tragédies. Quand Haïti a été frappée par le terrible tremblement de terre de 2010, nous étions tous tétanisés, ici… Les élans du cœur ont été nombreux. Plus que s’il s’était agi de Porto Rico, disons. Ou des Bahamas. Proximité, encore : Haïti a des liens forts avec le Québec, tant de ses fils et de ses filles se sont établis ici… On se connaît. La proximité crée de l’empathie.

Pour l’Ukraine, c’est loin, géographiquement. Mais c’est tout près, en même temps. Il me semble que réduire l’empathie et l’indignation que nous ressentons à une affaire de racisme, c’est un peu court. La proximité avec l’Ukraine est ici une affaire de cousinage démocratique et culturel.

L’Histoire, dans ce coin du monde qui nous fait tous trembler actuellement, elle remonte loin dans le temps. Les racines communes des Ukrainiens et des Russes remontent au Xe siècle5 et, depuis, c’est un jeu de souque à la corde qui fait passer l’Ukraine dans plusieurs sphères d’influence de plusieurs puissances, selon les époques…

C’est dire comment les enjeux – et les interprétations des enjeux – sont compliqués, entre Russes et Ukrainiens, et ce, depuis des siècles. Juste la question de la Crimée mérite mille thèses de doctorat.

Mais il n’en demeure pas moins qu’une certaine lucidité morale nous incite aussi à voir que l’Ukraine est un État, que cet État abrite un peuple, que ce peuple a choisi de se tourner vers l’Europe, avec ses outils démocratiques à lui.

Et à côté, la Russie, un État qui n’a rien de démocratique, dirigé par ce qu’aurait été Pablo Escobar si Pablo Escobar avait eu à sa disposition la deuxième armée en importance du monde, laquelle dispose par ailleurs du plus vaste arsenal nucléaire sur Terre.

Poutine, c’est ça : Escobar avec des missiles nucléaires.

Et c’est cette dictature dirigée par un type dont on ne sait plus trop s’il est sain d’esprit qui a choisi d’annexer sa voisine l’Ukraine par la force, avec le désastre humanitaire que l’on sait. Avec les conséquences géopolitiques que l’on ignore encore, pour l’heure, mais qui menacent de plonger la Russie dans une misère économique dangereuse et le monde dans une guerre froide 2.0.

D’où vient mon empathie pour les Ukrainiens ? Je me fiche qu’ils soient blancs, chrétiens.

C’est juste que, personnellement, quand une dictature varge à coups de pied dans la face d’une démocratie pour en faire une esclave, j’ai tendance à me ranger du bord du pays démocratique.

Je suis vieux jeu, je sais, mais je n’ai jamais eu de sympathie pour les dictateurs, même quand ils se font photographier à cheval en chest. Déjà que je trouve ça vulgaire, les dictateurs, imaginez sans t-shirt…

Amos Oz, écrivain israélien, l’a magistralement expliqué : « Quand vous voyez une agression, il faut la combattre, qu’importe d’où elle vient. Mais seulement s’il s’agit de vie et de liberté, pas pour des territoires ou des ressources supplémentaires. »

Mon empathie pour les Ukrainiens vient donc de là : dans ce conflit, ils sont les agressés, pas les agresseurs, et ils se battent pour leur vie et pour leur liberté.

1. Lisez un texte sur la guerre au Yémen (en anglais) 2. Lisez le texte de Fabrice Vil 3. Lisez un texte sur l’aide aux réfugiés ukrainiens (en anglais) 4. Lisez l’article de France info 5. Consultez les dates importantes dans l’histoire de l’Ukraine (en anglais)