Vous vous souvenez de Julien Auger, ce médecin de Saint-Jérôme qui veut soigner les blessés ukrainiens ? J’en parlais, mardi1. Le DAuger s’est envolé jeudi soir, direction la Pologne.

Anecdote, au sujet de ce médecin. Mardi matin, la chronique paraissait. J’ai reçu ce matin-là un appel d’un homme d’affaires qui m’était totalement inconnu, mais qui avait trouvé mon numéro par l’entremise d’une connaissance commune. Il voulait entrer en contact avec le DAuger : « Je veux lui payer son voyage… »

Le DAuger a refusé l’offre. Mais il y a un symbole là-dedans, me semble-t-il. Ce conflit-là nous interpelle intimement et personnellement.

Et tout le monde veut faire quelque chose.

Mais quoi ?

Oleg Koleboshyn s’est senti obligé d’aller aider, lui aussi. Pour des raisons bien personnelles : ce Québécois né en Ukraine, travailleur en éducation spécialisée dans une école de LaSalle, a encore des proches là-bas. Il s’est donc envolé il y a une semaine pour aider ceux qui ont fui, direction la Pologne.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK D’OLEG KOLEBOSHYN

Oleg Koleboshyn, actuellement en Pologne pour venir en aide aux Ukrainiens

Tout le monde veut aider l’Ukraine. Et tout le monde, à l’école Notre-Dame-des-Rapides de LaSalle, a voulu aider Oleg quand on a su qu’il partait aider ses proches.

Trois collègues – on salue Mme Nadège, M. Samuel et M. Sidney – ont eu l’idée d’une collecte de fonds sur Facebook pour aider Oleg financièrement, un billet d’avion à la dernière seconde étant assez cher…

Natasha Bouchard, la directrice : « En 12 heures, une soixantaine de personnes de la communauté de l’école ont répondu, de même que d’anciens employés… On a pu amasser 5000 $. »

Ces 5000 $ vont aider Oleg à payer des dépenses liées à son séjour en Europe de l’Est. Et à soutenir, aussi, les proches qu’il tente d’aider : « Tout ce qu’ils possèdent est dans une seule valise », me dit Oleg.

Amasser 5000 $ en 12 heures, c’est loin d’être banal. J’ai demandé à Natasha Bouchard comment elle expliquait cet élan. Réponse : « Parce que c’est Oleg, d’abord : c’est un ami qui s’investit à 800 %. Et les gens se sentent impuissants face à ce qui se passe en Ukraine. Que faire pour aider les gens, là-bas ? C’est un petit geste, un petit pas qui fait une différence… »

Mercredi, Tristan Péloquin racontait par exemple l’histoire d’un ex-militaire québécois2 qui a décidé d’aller en Ukraine pour combattre les Russes. Tireur d’élite, il s’était déjà engagé aux côtés des Kurdes, comme combattant étranger, pour abattre des membres du groupe État islamique, en Irak.

Partout dans les médias, partout dans le monde, ces histoires de volontaires3 qui veulent aller physiquement aider les Ukrainiens se multiplient4. C’est dire combien l’agression de l’Ukraine frappe l’imagination, résonne dans les chairs, par-delà l’Ukraine…

Mais est-ce bien utile ?

Je veux dire, est-ce utile de s’acheter un billet d’avion vers la région et de gagner l’Ukraine pour combattre ?

Réponse simple, si j’en juge par des observations d’experts : ça dépend5.

Si vous avez une expérience militaire très précise, dans les forces spéciales – ou que vous êtes tireur d’élite –, il est possible que vous soyez très bien accueilli et adéquatement mis à contribution sur le champ de bataille, selon David Malet6, spécialiste des combattants étrangers, auxquels il a consacré le livre Foreign Fighters : Transnational Identity in Civil Conflict.

Même pour les civils non combattants qui veulent aider autrement qu’en prenant les armes, c’est complexe. Julien Auger a compris une fois son billet pour la Pologne acheté que ses polices d’assurance vie et invalidité étaient caduques, s’il était tué ou blessé en Ukraine.

Mais si vous êtes un idéaliste qui compense une expérience militaire inexistante par des mégatonnes de bonne volonté, de courage et de dextérité ? Je cite David Malet, encore : « Ça ne se passe généralement pas bien pour la plupart des volontaires. Ceux qui ont des habiletés particulières sont bien traités par les commandants locaux. Et le reste est utilisé comme chair à canon. »

Les assureurs ne couvrent rien en cas de guerre.

Je reviens à Oleg Koleboshyn, qui navigue actuellement dans l’océan de paperasseries canadiennes pour aider des Ukrainiens à venir s’établir ici, à tout le moins temporairement.

J’échange parfois des textos avec Oleg. Je le mets en ondes à la radio, à l’occasion. Son histoire me touche, car elle nous ramène à l’essentiel : la famille, les proches… la vie.

Là, Oleg est en Roumanie. Il s’occupe de sa belle-mère et d’autres Ukrainiens, il veut les faire venir ici. Il les assiste dans leurs démarches auprès de l’ambassade du Canada à Bucarest. Oleg m’a raconté plusieurs des embûches. On n’imagine pas la paperasse, l’ambassade qui tatillonne, la ligne qui ne répond jamais, le site web qui crashe sous les demandes, bref, des sottises mille fois entendues depuis mille ans à propos des tracasseries du complexe diplomatico-immigrationnel canadien…

Ça m’a rappelé l’histoire de l’Afghan Jawed Haqmal, qui a été interprète auprès de l’armée canadienne en Afghanistan7. Son histoire a créé une commotion au Canada anglais, l’été dernier. Pas besoin de dire qu’un X rouge invisible était sur la tête de M. Haqmal, à mesure que les talibans se rapprochaient. Des mois avant la victoire talibane, des voix s’élevaient partout au Canada pour sauver nos interprètes afghans…

Des mois pendant lesquels Ottawa n’a rien fait, rien vu venir.

Et quand il a fallu faire quelque chose, alors que les talibans étaient aux portes de Kaboul, là, il était trop tard. Ambassade fermée, site web surchargé, paperasserie kafkaïenne : adios, les interprètes qui guidaient nos soldats dans le bourbier afghan…

C’est un journaliste du Globe and Mail qui a sauvé Jawed Haqmal et sa famille en organisant leur sauvetage à Kaboul par l’entremise d’une unité des forces armées de… l’Ukraine ! L’interprète a été évacué vers Kyiv avec sa famille, en attendant que le Canada traite sa demande de réfugié.

C’était en août.

Or, quand la Russie a envahi l’Ukraine, fin février, M. Haqmal attendait encore que le mammouth diplomatico-immigrationnel canadien lui donne le feu vert pour rentrer au Canada !

Il a dû fuir vers la Pologne pour sauver sa peau.

En espérant être admis au Canada, le gars a eu le temps d’échapper à deux armées hostiles, dans deux pays, en moins d’un an. Ça illustre bien, je pense, à quel point la bureaucratie canadienne est comme un mammouth qui essaie de faire du patin artistique, mastodonte qui ploie sous son propre poids.

Tout le monde veut aider l’Ukraine, les Ukrainiens.

Ce serait l’fun que le mémo se rende aux fonctionnaires canadiens : ça presse.

1. Lisez « Guerre en Ukraine : cette fois, c’est différent » 2. Lisez « Wali répond à l’appel de Zelensky » 3. Lisez « “Wars are won by people who show up” : Foreign fighters head to Ukraine » (en anglais) 4. Lisez « Guerre en Ukraine : près de 70 hommes prêts à partir de Belgique pour aller se battre » 5. Lisez « Foreign Fighters in Ukraine? Evaluating the Benefits and Risks » (en anglais) 6. Consultez les tweets de David Malet à ce sujet (en anglais) 7. Lisez « Après avoir fui les talibans : l’ancien interprète de l’armée parvient à gagner la Pologne »