Lors de la plus récente campagne électorale, le Québec s’est entredéchiré sur l’immigration.

Pour avoir réduit temporairement les seuils à 40 000, la Coalition avenir Québec était accusée d’intolérance. Les libéraux étaient dépeints en menace à la nation pour avoir voulu maintenir le nombre annuel de nouveaux arrivants à un peu plus de 50 000.

Ce débat paraît aujourd’hui presque banal face à ce qui se passe à Ottawa. Le gouvernement Trudeau opère un virage majeur en immigration. Sa hausse des seuils diluera le poids du Québec dans la fédération. Et la bureaucratie fédérale le fait tout en défavorisant les étudiants francophones.

Le résultat : le Québec perd de l’influence dans le Canada, et le français se contracte encore plus au Québec.

L’accord Canada-Québec, conclu en 1991, est souvent présenté comme une concession majeure arrachée au fédéral. Il permet à l’Assemblée nationale de contrôler son immigration dite économique – celle qui exclut les réfugiés et les réunifications familiales. Le Québec sélectionne depuis les candidats. Le rôle du fédéral se limite à leur accorder la résidence permanente.

L’accord a toutefois ses limites. En principe, Ottawa est censé consulter le Québec avant d’établir ses seuils. Si ce fut le cas, ça ne paraît pas…

Les libéraux porteront le total d’immigrants accueillis à 430 000. C’est nettement plus que les 280 000 sous les conservateurs.

Pour maintenir son poids démographique, le Québec devrait donc doubler du jour au lendemain son immigration. Or, la francisation est déjà déficiente. À un tel niveau, elle ressemblerait à une mission impossible. D’ailleurs, même les libéraux, les solidaires et le patronat ne proposent pas une cible si élevée.

L’immigration est un sujet délicat. Les nouveaux arrivants ne sont pas des menaces ni des numéros à traiter. Ils peuvent enrichir la société québécoise.

Il faut en parler de façon responsable, pour ne pas alimenter la xénophobie. Mais cela ne justifie pas d’en faire un sujet tabou. Il est normal de se demander quel est le nombre optimal qui respecte la capacité d’intégration. Au Québec, le choix actuel est d’environ 50 000 personnes par année. C’est proportionnellement un peu plus que celui des États-Unis⁠1.

Le Canada fait figure d’exception. Il est le membre du G8 avec le plus haut taux d’immigrants. Son modèle ressemble à celui de l’Australie, qui est encore plus ouvert. Cela s’explique par des raisons historiques et géographiques – il s’agit de pays relativement jeunes, avec un vaste territoire peu densément peuplé. La question de la langue ne s’y pose pas. On présume que l’intégration au travail se fera en anglais.

Les candidats francophones ne sont pas assez nombreux pour maintenir le poids des Franco-Canadiens, qui ne représentent que 4,4 % de la population des autres provinces.

Le Québec aussi s’affaiblit. Au début de la Révolution tranquille, il comptait pour près de 30 % de la population canadienne. Ce taux est aujourd’hui de 23 %, et il continuera de baisser.

La révision de la carte électorale fédérale le prouve. Selon le scénario étudié, le Québec perdra un siège. Et ce serait pire sans la révision du mode de calcul adoptée sous Stephen Harper pour compenser le Québec.

À chaque élection qui passe, il serait moins payant pour un parti fédéral de répondre aux demandes du Québec.

Dans son rapport⁠2, le fédéral se vante d’avoir répondu aux défis de la pandémie. Il se félicite aussi de combattre le racisme systémique et les préjugés inconscients avec ses formations données aux fonctionnaires.

Les gestes ne suivent pas les paroles. Immigration Canada peine à réduire les délais. Un candidat doit attendre plus de deux ans avant de recevoir sa résidence permanente. Et le traitement des dossiers reste trop lent pour les Afghans et les Ukrainiens, selon des avocats qui les représentent.

Derrière ces chiffres se cachent des humains, y compris au Québec. Des candidats sélectionnés et établis chez nous sont menacés d’être renvoyés dans leur pays d’origine alors qu’ils attendent encore leurs papiers officiels.

Quand on s’intéresse à la langue, c’est encore pire. Je le répète, l’immigration peut enrichir la vie culturelle et intellectuelle du Québec, notamment grâce aux étudiants étrangers francophones. Or, le fédéral semble les discriminer.

Comme l’ont démontré Le Devoir et Radio-Canada, les refus sont plus fréquents au Québec qu’ailleurs au Canada. Ils sont aussi plus élevés pour les candidats francophones que les anglophones. Enfin, ils sont plus élevés en région, même si la régionalisation de l’immigration est un objectif consensuel à l’Assemblée nationale.

Le taux de refus dépasse 70 % à l’UQTR, l’UQO et l’UQAR. À McGill, il n’est pourtant que de 9 % ! À cette injustice s’ajoute la décision par le gouvernement Couillard en 2018 d’abolir la péréquation qui forçait les universités à se partager les revenus des étudiants étrangers. Le réseau francophone est ainsi doublement désavantagé.

Les rejets touchent surtout les étudiants de l’Afrique francophone, quand même leur candidature serait impeccable. Pourquoi ? Entre autres parce qu’on craint qu’ils ne restent ici après leur séjour temporaire. Pourtant, Québec veut convaincre ces jeunes éduqués, francisés et déjà en voie d’intégration de demander la résidence permanente.

Le nouveau ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser – qui ne parle pas français –, promet d’y remédier. Il a débloqué plus de 80 millions et embauchera 500 fonctionnaires.

C’est bien, mais on applaudira quand cela donnera des résultats concrets. Pour l’instant, la tendance se maintient et elle n’est pas bonne.

1. Lisez le résumé du groupe de recherche Pew (en anglais) 2. Lisez le rapport fédéral sur l’immigration