J’ai lu d’une traite l’essai La disparition de Paris, de Didier Rykner. Je me suis délecté, même si j’ai trouvé que l’auteur charriait par moments et qu’il manquait de nuances à certains égards.

Ce livre, disons-le d’emblée, est une charge à fond de train contre la maire de Paris (c’est ainsi qu’elle veut qu’on l’appelle), Anne Hidalgo. L’actuelle représentante du Parti socialiste à la prochaine présidentielle et l’auteur ne sont visiblement pas à inviter au même cinq à sept.

« La disparition de Paris, nouveau coup de pelle sur la tête d’Anne Hidalgo », titrait le magazine Marianne au moment de la sortie du livre, qualifié de « marteau-piqueur ».

« La campagne d’Anne Hidalgo semblait avoir touché le fond ces dernières semaines, mais la sortie d’un nouveau livre pourrait lui permettre de creuser encore », peut-on lire dans cet article.

Ma première observation est au sujet des critiques que formule Didier Rykner. Il est renversant de voir qu’elles sont en tout point similaires à celles que l’on entend au sujet de Montréal depuis quelques années. Il est question de la malpropreté des rues, de la gestion anarchique des travaux, de l’indulgence des élus à l’égard des graffitis, du manque de cohérence dans la création des pistes cyclables, de la guerre aux voitures, du patrimoine en péril, des parcs mal entretenus et de la laideur des terrasses « éphémères » construites avec des « palettes de bois ».

Je vous le dis, c’est du copier-coller. On parle même des nids-de-poule qui sont mal réparés.

L’auteur croit que le problème actuel des villes est que leur gestion est trop souvent accompagnée d’une idéologie politique. « Gérer une ville, ce n’est pas gérer un État », écrit-il. Pour lui, la propreté ou l’entretien de la voirie n’est pas « une affaire de gauche ou de droite ».

Il y a un mot que la maire de Paris utilise à outrance et qui énerve profondément l’auteur : « réinventer ».

À Paris, on “réinvente tout”, comme si la ville dans laquelle nous vivons avait besoin d’être bouleversée, comme si nous avions donné mandat à la maire de réglementer notre vie entière.

Didier Rykner

Rykner dit assister à un « véritable effacement » de cette ville riche en histoire que des millions de touristes viennent voir pour ce qu’elle a été et pour ce qu’elle est encore aujourd’hui. « Mais combien de temps va-t-elle le rester après douze ans sous la coupe d’une élue qui s’obstine à la faire évanouir sous nos yeux en la “réinventant” ? », se demande l’auteur.

Didier Rykner, qui s’intéresse au patrimoine et à l’histoire de l’art, est le fondateur et directeur de La Tribune de l’Art, un média en ligne qui propose un journalisme voué à la défense du patrimoine. Il a donc souvent eu l’occasion d’écrire sur le « saccage » que l’on fait subir à Paris.

Car c’est le mot-clé #SaccageParis qui l’a poussé à enfin écrire ce livre qui germait en lui depuis quelques années. Ce mouvement, qui a pris naissance au printemps 2021 sur les réseaux sociaux, rassemble des citoyens qui veulent dénoncer les laideurs de Paris et certains choix de l’administration Hidalgo.

À ce jour, deux millions de publications ont été faites. On y voit des photos montrant la saleté à Paris, le gazon ravagé des parcs, des zones de travaux en suspens, des graffitis que les ouvriers de Paris se contentent de couvrir d’une peinture grise, etc. Le phénomène a pris une telle ampleur qu’on a créé les #SaccageParis Awards en décembre dernier.

PHOTO GONZALO FUENTES, ARCHIVES REUTERS

Déchets jonchant le sol à Paris, en France

La mairie de Paris a répliqué en dénonçant une campagne de dénigrement de la part de militants de droite, voire de l’extrême droite. Le quotidien Le Parisien a toutefois dévoilé que le mouvement #SaccageParis préoccupe tellement les élus qu’une cellule de crise a été créée.

Tout en affichant son amour nostalgique de Paris, l’auteur reconnaît que ce n’est pas la première fois que cette ville, l’une des plus belles au monde, connaît des transformations. Sous Napoléon III, le baron Haussmann a complètement changé le visage de Paris.

« Le saccage de Paris a toujours existé, mais il s’était beaucoup calmé et, surtout, il n’avait jamais, depuis un siècle et demi, touché à ce point le cœur même de la capitale », écrit Rykner.

C’est ce Paris haussmannien que l’auteur souhaiterait voir figé et bichonné. Au lieu de cela, on assiste au remplacement du mobilier urbain (les colonnes Morris, les fontaines Wallace, les kiosques à journaux, les bancs Davioud, les bouches de métro Guimard) et à la mise en place de concepts douteux.

Didier Rykner évoque le « banc en pierre rafraîchissant » expérimenté en août 2021. À partir de 25 °C, le banc, qui a l’apparence d’un bloc de béton, capte et diffuse naturellement l’air frais provenant des carrières parisiennes. Coût de ce prototype ? 19 000 euros.

Il est aussi question des Naturinoirs que les hommes peuvent utiliser pour se soulager à la vue de tous. Ces pissotières permettent de récupérer l’urine pour en faire de l’engrais. Après son installation, au début de 2021, le prototype a rapidement débordé, ce qui a rendu les lieux infréquentables. Le système alimenté par l’énergie solaire a cessé de fonctionner, car en l’installant, les concepteurs n’avaient pas prévu que des feuilles allaient apparaître aux arbres et ainsi cacher les rayons du soleil. Coût de ce prototype ? 40 000 euros.

Didier Rykner s’en prend également à la prolifération des panneaux publicitaires dans Paris. Il cite l’exemple de la magnifique place de l’Opéra maintenant ornée de panneaux lumineux. La même chose est observable aux abords de l’église Sainte-Élisabeth, près de la place de la République.

L’autre aspect qui irrite l’auteur est l’obsession d’Anne Hidalgo pour la « végétalisation » de Paris. « Une végétalisation qui tente de transformer chaque rue en jardin, mais qui les métamorphose en réalité en vastes terrains vagues jonchés d’ordures et de mauvaises herbes », écrit-il avant d’ajouter : « Anne Hidalgo et l’écologie, c’est un peu le pompier pyromane. »

Didier Rykner conclut son ouvrage par une série de recommandations qui, si elles sont remplies de bonne volonté et de gros bon sens, relèvent de la pensée magique.

Les questions qu’il soulève demeurent toutefois pertinentes et d’une extrême complexité. Comme je le disais, elles sont propres à de nombreuses grandes villes.

Nous assistons en ce moment à une vaste redéfinition de l’espace urbain et cela est accompagné d’une appropriation par les citoyens. Cela est absolument souhaitable. Mais curieusement, ce mouvement passe par un non-respect grandissant.

Le livre de Didier Rykner, sans être parfait, nous dit que le premier geste que l’on doit faire pour rendre nos villes belles et agréables est de leur montrer notre amour. Ce que nous n’osons plus faire.

La véritable appropriation, elle est là.

Cette chronique a été modifiée pour corriger l’année du début du mouvement #SaccageParis, soit 2021 et non 2001.

La disparition de Paris

La disparition de Paris

Les Belles Lettres

Sortie au Québec : 8 mars