Était-ce la peur de parler ? La loyauté aveugle au clan ? Une forme soudaine et inexplicable d’aphasie ?

En 2011, toutes les hypothèses étaient examinées pour comprendre le respect extrême de la ligne de parti par les députés du Parti libéral du Québec, qui s’opposaient tous à une commission d’enquête sur l’industrie de la construction malgré les demandes presque unanimes de la société civile.

Les journalistes traquaient les députés qui revenaient d’un long lunch, en espérant que ceux-là parleraient malgré eux… Peine perdue.

L’épisode aide à comprendre le rare courage dont a fait preuve le député libéral fédéral Joël Lightbound mardi.

Il n’a pas seulement exprimé un désaccord sur des idées. Il a remis en question le jugement de son chef Justin Trudeau. Il l’accuse d’avoir mis les intérêts du parti avant ceux de la patrie. D’avoir volontairement semé la division pour sauver son poste de premier ministre. D’avoir été irresponsable durant la pire crise de sa génération.

Selon le député de Louis-Hébert, M. Trudeau a politisé la pandémie en faisant de la vaccination obligatoire un enjeu électoral. La mesure a ainsi été associée au Parti libéral plutôt qu’à l’État. Ceux qui n’aimaient pas M. Trudeau y adhéraient donc moins.

La charge de M. Lightbound fragilise un chef qui était déjà vulnérable.

M. Trudeau entame un autre mandat minoritaire sans élan. Sa vision ressemble à une continuité essoufflée. Il s’applique surtout à adopter de vieux projets de loi, notamment sur les langues officielles et les géants du web, tout en gérant la pandémie avec un succès mitigé.

La sortie de M. Lightbound a été applaudie par son collègue Yves Robillard. Ce n’est pas l’appui le plus crédible – ce député avait été rabroué après avoir fait du tourisme familial au Costa Rica en décembre malgré la mise en garde de son whip.

Autre critique remarquée : Mark Carney, ex-gouverneur de la Banque du Canada, qui affirmait dans le Globe and Mail cette semaine que « les crises ne se règlent pas par elles-mêmes », une flèche contre M. Trudeau.

Mais contrairement à eux, M. Lightbound ne se pose pas en prince sauveur du parti et il n’a pas d’amertume. Sa seule ambition était de respecter ses principes.

À quoi sert un député ?

Dans leur circonscription, les députés effectuent un travail essentiel pour défendre leurs concitoyens. Mais à la Chambre des communes, leur rôle est moins évident⁠1.

Le matin, ils reçoivent leurs lignes de presse à répéter aux médias. Leur liberté de parole est limitée. Au Royaume-Uni, la dissidence est mieux tolérée. Chez nous, s’ils osent exprimer un léger désaccord avec leur parti, l’affaire devient un scandale.

Lors d’un colloque en 2015, Stéphane Dion avait illustré un paradoxe. D’un côté, les citoyens font plus confiance à leur député qu’à son parti. Mais de l’autre, ils votent d’abord en fonction du parti – l’effet individuel d’un candidat se limite à quelques maigres points de pourcentage⁠2.

En d’autres mots, on choisit un porte-parole d’un parti, puis on espère qu’il agira comme porte-parole de sa circonscription auprès du parti.

Difficile métier…

Peu après être devenu chef libéral, M. Trudeau promettait de le revaloriser. Je le cite : « Le Parti conservateur et le NPD sont dirigés par des personnes qui prônent un régime autocratique dirigé du haut vers le bas. Je suis d’avis que les députés devraient être des représentants de leurs communautés, libres d’exprimer les opinions de leurs électeurs⁠.3 »

Un parti ne devrait pas être une secte. Certains désaccords sont inévitables et même souhaitables. Mais cette liberté a des limites. On s’attend à ce qu’un député partage ses critiques à l’interne au caucus.

C’est ce que M. Lightbound a fait. Il a essayé de brasser la cage de l’intérieur. Mais puisque cela ne menait nulle part, il a brisé le silence. À cause de la gravité de l’enjeu.

Cette dissidence ne fait pas de M. Lightbound un saint.

Sur la forme, la démarche était impeccable. En bon député, il disait relayer la colère de ses concitoyens. Il parlait avec son cœur et sa conscience, avec un ton calme et respectueux.

Mais sur le fond, plusieurs remarques étaient étranges.

« On ne peut pas continuer les confinements et les restrictions sans justification scientifique », a-t-il affirmé, laissant entendre qu’aucune étude ou aucun épidémiologiste n’appuyait les mesures sanitaires. Ce qui est évidemment faux.

Il cite aussi la Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada, qui suggérait de réévaluer les mesures sanitaires. Comme si les provinces ne le faisaient pas constamment !

Il y a des limites à incarner la vertu tout en caricaturant la démarche de ceux qui font le travail difficile.

Ironiquement, son annonce a été suivie quelques heures plus tard par celle sur le plan de déconfinement du Québec.

Malgré tout, M. Lightbound aura été utile. Les manœuvres du gouvernement ont été mises à nu. Il lui sera plus difficile d’instrumentaliser la pandémie.

Justin Trudeau a au moins le mérite de ne pas avoir sanctionné son député. Ç’aurait été absurde. De toute façon, il est prévu que la vaste majorité des mesures sanitaires seront levées d’ici le printemps.

Le débat politique pourra enfin passer à autre chose, mais il restera une fissure dans la carapace du premier ministre. Il aura été puni par où il a péché.

(⁠1) Lisez un rapport de recherche du Parlement sur la liberté des députés (2) Lisez l’allocution de Stéphane Dion avec les références aux études (3) Lisez le document libéral de Justin Trudeau