Quand la vague Omicron a frappé la résidence pour personnes âgées (RPA) de Québec, il y a trois semaines, tous les résidants ont été confinés à leur logement, avec interdiction formelle d’en sortir.

Ils y sont toujours enfermés. Infectés ou non, vaccinés ou non, ça n’a pas d’importance : midi et soir, on leur apporte leurs repas dans des contenants de styromousse. La salle à manger est fermée. Les activités sont suspendues. Les droits de visite, limités aux proches aidants.

Tout ça fait terriblement printemps 2020. On en parle moins, aujourd’hui, mais c’est encore la réalité toute carcérale de beaucoup d’aînés vivant en RPA ou en CHSLD.

Le beau-père de Benoit Charest habite la RPA de Québec touchée par une éclosion de COVID-19. Triplement vacciné, 92 ans. Une femme atteinte de la maladie d’Alzheimer, qui occupe une aile spécialisée de la résidence. Avant, le vieil homme lui rendait visite tous les jours.

Le plus grave, pour [mon beau-père], c’est le fait de ne pas pouvoir se déplacer. Il a perdu beaucoup de ses facultés. Avant, il se déplaçait avec une canne. Là, il ne peut plus marcher.

Benoit Charest

Au fil des jours, puis des semaines, il est devenu de plus en plus anxieux. Sa santé s’est détériorée. Il a perdu l’appétit.

Il a été transféré à l’hôpital.

« Un moment donné, ce n’est pas de la COVID-19 que les gens vont décéder, c’est de l’isolement », regrette Benoit Charest, impuissant face au sort de son beau-père. Depuis le début de la pandémie, des milliers de Québécois ont vécu à peu près la même histoire.

Une grand-mère isolée qui se laisse mourir d’ennui. Une tante de moins en moins mobile, de plus en plus confuse. Un père qui sombre dans une profonde dépression.

Lors de la première vague, déjà, des proches avaient sonné l’alarme : l’état de santé de certains résidants se dégradait à vue d’œil. Isolés dans leur chambre, sans contact avec le monde extérieur, ils mouraient à petit feu. Le remède était-il pire que le mal ?

À l’époque, personne ne pouvait répondre avec certitude à cette question. Le virus était nouveau ; les données probantes n’existaient nulle part. Alors que la COVID-19 décimait les CHSLD, valait mieux jouer de prudence.

« Maintenant, on a des données », dit Philippe Voyer, chercheur au Centre d’excellence sur le vieillissement du Québec et professeur à la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval.

PHOTO FOURNIE PAR PHILIPPE VOYER

Philippe Voyer, chercheur au Centre d’excellence sur le vieillissement du Québec et professeur à la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval

Des données qui confirment ce qu’il soupçonnait depuis longtemps : dans les résidences pour aînés, des restrictions sanitaires trop strictes peuvent s’avérer plus mortelles que le virus lui-même.

C’est ce que conclut une étude majeure de l’Université de Notre Dame (Indiana), menée auprès de 15 000 centres d’hébergement des États-Unis.

Consultez l’étude Nursing home quality, COVID-19 deaths, and excess mortality (en anglais)

Selon cette étude, les centres qui appliquaient les règles sanitaires les plus rigoureuses enregistraient, sans surprise, moins de morts de la COVID-19. Mais les chercheurs ont constaté que ces mêmes centres enregistraient 15 % plus de décès non liés au virus que les centres aux règles, disons, plus élastiques…

(Au total, les centres les plus stricts affichaient 8,4 % plus de décès, toutes causes confondues, comme l’explique ma collègue Ariane Lacoursière dans son reportage.)

Lisez l’article « L’isolement plus mortel que la COVID-19 ? »

Évidemment, quand on parle de règles sanitaires, on ne parle pas du port du masque, de la vaccination ou d’une bonne aération. Tout ça demeure essentiel pour lutter contre la pandémie.

On parle de l’isolement forcé. De la suspension des activités de groupe. Des interdictions de visites. Des règles qui protègent de la COVID-19, certes, mais à un coût parfois élevé : perte d’autonomie, perte cognitive, perte de poids ou même… perte du goût de vivre.

Dès samedi, toute personne dotée d’un passeport vaccinal pourra visiter les résidants des CHSLD et des RPA, a annoncé le premier ministre François Legault.

La mesure d’assouplissement est bienvenue, mais ne règle pas tout.

« Toute la question de la prévention et du contrôle des infections dans les milieux de vie, on y travaille activement », a assuré Luc Boileau, directeur national de santé publique par intérim. En ce moment même, des équipes ministérielles cherchent des façons d’alléger les mesures tout en évitant les éclosions dans les établissements.

On comprend l’importance de trouver un juste équilibre entre les deux. Mais il ne faudrait pas que, traumatisées par l’hécatombe du printemps 2020 dans les CHSLD, les autorités sanitaires pèchent par excès de prudence.

À partir d’aujourd’hui, il sera très difficile de défendre l’idée d’isoler les gens, et particulièrement les gens triplement vaccinés.

Philippe Voyer, chercheur au Centre d’excellence sur le vieillissement du Québec

Maintenant que les dommages collatéraux sont clairs, démontrés et chiffrés, la Santé publique ne peut plus appliquer la même recette aveuglément, ajoute-t-il. « Les résidants des milieux de soins de longue durée méritent mieux. »