Voilà une patate chaude que François Legault n’a pas tenue longtemps.

Selon le premier ministre, le sort du REM de l’Est se trouverait entre les mains de Valérie Plante. Pourtant, le projet ne vient pas de la mairesse de Montréal. Elle ne le finance pas et elle ne le pilote pas.

Cette phase II du REM a été démolie par un rapport dévastateur de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM). En réaction, M. Legault a dit que c’était à la mairesse de « présenter un nouveau projet qui fait son affaire ». Mais ce travail relève du comité d’experts qui formulera ses recommandations dans les prochaines semaines. Probablement avant le début des travaux du BAPE au printemps.

Le REM de l’Est n’est donc pas mort. En fait, il n’est même pas encore terminé. Il faudrait voir la version définitive avant de le torpiller. Mais à tout le moins, c’est mal parti…

Pour comprendre le rapport de l’ARTM, il faut revenir en arrière.

Durant les dernières décennies, le transport collectif s’est développé dans le désordre dans le Grand Montréal. Chaque maire tirait la couverture de son côté et défaisait les plans de son prédécesseur.

Pour y remédier, Québec a créé l’ARTM en 2016. Son mandat : planifier le réseau avec une vision cohérente à long terme. Mais en même temps, le gouvernement Couillard avait confié à CDPQ Infra, une filiale de la Caisse de dépôt et placement, le REM de l’Ouest. M. Legault a fait la même chose pour l’Est.

L’ARTM a été marginalisée. On lui a retiré le plus important projet. Sans vocation, elle s’est perdue dans les détails. Au lieu de réfléchir aux grandes orientations, elle s’est mise à fouiller dans la comptabilité des sociétés de transport. Quand elle a finalement déposé un premier plan pour la métropole, elle a énuméré tous les projets à l’étude sans les prioriser. Pas crédible, raillait-on à Québec.

Son rapport sur le REM de l’Est ressemble à une vengeance. Pour la première fois, l’ARTM essaie de montrer ce que signifie le « A » dans son nom : autorité.

Cette étude s’est faite de façon très discrète. Sans même consulter CDPQ Infra.

L’avis est écrit au vitriol. Le REM de l’Est aurait peu de mérites. À peine 6 % des passagers seraient de nouveaux usagers des transports en commun. Les autres viendraient notamment de la ligne verte du métro et de la ligne Mascouche du train de banlieue.

L’étude de l’ARTM contient toutefois des failles méthodologiques. Ses projections ne tiennent pas compte de la construction résidentielle qui serait encouragée par le projet, qui s’inscrit dans un plan de revitalisation de l’Est. Il y aurait probablement plus de passagers que prévu. Et plus de revenus en taxes foncières pour la municipalité.

L’avis dénonce aussi la cannibalisation de la ligne verte. Cet argument est plus fort. Il met le doigt sur l’arrimage déficient entre le modèle de CDPQ Infra et celui du reste du réseau.

En principe, cette « cannibalisation » peut aussi avoir un peu de positif. Elle soulage un tronçon du réseau qui pourrait à long terme devenir engorgé tout en offrant un trajet plus rapide aux usagers.

Le problème, c’est le modèle financier du REM. Si un passager voyage dans le REM, CDPQ Infra reçoit plus de 70 cents par kilomètre. S’il est dans le métro, la STM recevra 40 cents. Et la Caisse a un rendement garanti. Si elle fait moins d’argent que prévu, les autres sociétés de transport assumeront les coûts, alors qu’elles manquent déjà d’argent.

Ce déséquilibre est au cœur du modèle de la Caisse. Il est à prendre ou à laisser.

Et des experts l’ont souvent critiqué, par exemple dans cette lettre ouverte en mars dernier dans nos pages.

Lisez la lettre ouverte d’experts

Tout comme Philippe Couillard, M. Legault a sauté quelques étapes. Habituellement, on détermine d’abord le besoin, puis on choisit le mode de transport qui y répond le mieux, avec une logique d’urbanisme. Mais avec le REM, le point de départ était le mode de train léger automatisé – difficile à intégrer en zone urbaine – avec une logique financière.

À la décharge de MM. Couillard et Legault, les chantiers de transport collectif n’en finissaient plus d’être reportés. Et avec le recul, le mandat de l’ARTM était naïf – Québec voudra toujours avoir le dernier mot sur ce qu’il finance.

Même si le modèle de CDPQ Infra est déficient, son abandon causerait de l’amertume. L’Est attend depuis trop longtemps son tour. Souvenez-vous du prolongement de la ligne bleue, promis depuis les années 80…

Sans cette nouvelle phase du REM, je ne vois pas d’autre projet pouvant être lancé dans un délai raisonnable. Cela explique sans doute la réaction de Trajectoire Québec, un lobby pour les transports en commun, qui craint que l’on « jette le bébé avec l’eau du bain ».

Alors que fait-on maintenant ?

Je ne veux pas commettre un sophisme du faux dilemme. Il n’est pas nécessaire de choisir entre le statu quo et l’abandon. Du moins, pas encore. Il faudrait attendre les propositions du comité d’experts.

La pire ennemie du gouvernement est son inflexible ministre responsable de la région de Montréal, Chantal Rouleau. Elle se borne à dire que le « projet va de l’avant », sans écouter ses critiques. Avec elle, on avance surtout vers l’affrontement et l’échec.

Certes, la mairesse Plante devrait préciser sa position et s’engager davantage pour l’Est, notamment en dépensant enfin les sommes promises pour y décontaminer des terrains. Mais ce n’est pas elle qui peut régler la crise financière des sociétés de transport, que le REM aggraverait.

Pour cela, le dernier mot revient à ceux qui ont le contrôle : Québec et la Caisse de dépôt. Et il ne leur reste plus beaucoup de temps.