Tempus fugit, comme on dit.

« Ce n’est pas le temps au Québec de se diviser. C’est le temps de défendre notre cohésion sociale », disait François Legault en septembre dernier.

Cette semaine, au Salon bleu, il a fait le contraire.

La cheffe du Parti libéral venait de commettre un lapsus en nommant le président de l’Assemblée nationale « Monsieur le Québécois ». Hors micro, M. Legault a répondu : « ben oui, c’est un caquiste ». Dans le sens de : si vous êtes libéral, péquiste ou solidaire, vous n’êtes pas un vrai Québécois.

Aux dernières élections, son parti a récolté 37,4 % des votes. Même si ses appuis dépassent maintenant les 40 %, un résultat impressionnant, la majorité des Québécois n’appuie pas la Coalition avenir Québec.

Je sais, M. Legault a simplement fait une blague à chaud au milieu d’une joute oratoire. Il ne faut pas dramatiser ou surinterpréter. Le deuxième degré est déjà en voie de disparition, ne l’achevons pas tout de suite.

Mais j’en parle parce que l’échange en chambre n’était pas si anecdotique non plus. Il s’ajoute à quelques autres incidents du genre dans les dernières semaines. C’est un jeu risqué en pleine pandémie, selon les sages paroles de M. Legault lui-même.

Durant la crise, le premier ministre a souvent fait appel à la solidarité de la nation québécoise. Il s’est adressé à ce grand « Nous » collectif. Certains jugeaient le ton emphatique. Je trouvais plutôt que c’était utile. Il en appelait au meilleur de chacun de nous.

Une étude toute fraîche publiée dans Nature Communications le confirme⁠1. Réalisée auprès de 50 000 sujets dans 67 pays, elle démontre un lien entre « l’identification nationale » et le respect des mesures sanitaires. La relation n’est pas causale ni extrêmement forte, mais elle existe bel et bien.

À noter que « l’idéologie politique » est négativement corrélée avec le respect des mesures sanitaires. En d’autres mots, la partisanerie n’aide pas. Cette relation a été mesurée notamment aux États-Unis avec les républicains.

Même si l’étude porte sur « l’identification nationale », ce concept n’est pas si différent de la cohésion sociale mentionnée par M. Legault.

Ce concept est assez intuitif. En gros, il désigne le sentiment de former une communauté, et les liens de confiance et de coopération qui s’y développent. C’est crucial durant la pandémie. Si on se fout des autres, on est moins susceptible de porter un masque ou de penser aux employés de la santé.

Maintenir cette cohésion n’est pas facile. Au début de l’hiver, M. Legault sentait qu’il devait calmer la grogne des vaccinés. De là son projet de taxer les non-vaccinés. Puisque l’idée aggravait finalement les divisions, il l’a abandonnée.

Comme premier ministre, il brandit les symboles nationalistes pour rallier. Mais comme chef caquiste, il les utilise comme des armes avec un double objectif partisan : remplacer les péquistes et diaboliser les libéraux et les solidaires. Il y a un dédoublement de personnalité, et la première version est nettement meilleure que la deuxième.

L’échange cité en début de chronique portait sur l’agrandissement du collège Dawson. Le gouvernement caquiste ne faisait pas qu’appuyer ce projet : il l’avait mis dans sa liste prioritaire pour accélérer la construction. Mais son refus d’imposer la loi 101 au collégial lui a valu des critiques de nationalistes et du Parti québécois. Piqué au vif, M. Legault a mis ce projet sur la voie de garage.

Mme Anglade réagissait à cette volte-face. C’est dans l’ordre des choses qu’elle défende la minorité anglophone. Mais il est un peu gros pour M. Legault d’ironiser en parlant du Parti liberal à l’anglaise alors que lui-même avait pratiquement la même position il y a quelques jours à peine.

Quant au choix de la Cour du Québec d’exiger le bilinguisme pour des juges, cela reste un débat périphérique. Il s’agit de postes bien payés et peu nombreux, que la Cour gère pour répondre au droit des accusés d’être jugés en anglais. Si on cherche un enjeu important pour le français, mieux vaudrait concentrer les attaques sur le gouvernement Trudeau, qui nomme un ministre unilingue anglophone à l’Immigration et qui refuse encore massivement les visas aux Africains francophones…

On dirait que le chef caquiste veut compenser ses gestes jugés timides pour le français avec des paroles plus fermes. Le résultat : une division qui n’aide qu’une cause, celle de son parti.

Avec une avance si confortable dans les sondages, il n’est pas nécessaire d’en faire autant. Surtout pas quand la solidarité devient de plus en plus fragile.

1. Lisez l’étude publiée dans Nature Communications (en anglais)