La pandémie a des répercussions sur toutes les sphères de notre société, notamment dans le monde du droit. Pour Juripop, dont le mandat est d’offrir des services juridiques à coûts modiques, les défis se sont multipliés au cours des derniers mois. On se rend compte que ces enjeux sont le miroir de ce que l’on vit.

Prenons juste l’exemple du droit de la famille : Juripop s’est retrouvé au cours des derniers mois avec une demi-douzaine de dossiers de parents qui se déchirent au sujet de la vaccination de leurs enfants.

« Le problème, c’est qu’il y a des gens qui vivent en région et qui doivent passer par l’aide juridique », m’a expliqué Sophie Gagnon, directrice générale de Juripop. « Si l’un des deux conjoints a déjà fait une demande, l’autre ne peut pas être représenté par un second avocat de l’aide juridique dans un litige. Il doit donc trouver un avocat en pratique privée qui va accepter d’être payé au tarif de l’aide juridique. Et ça, ça ne court pas les rues. Ces gens se tournent alors vers nous. »

La question de la violence conjugale tient occupée l’équipe de Juripop, déjà submergée sous une tonne de dossiers d’agressions sexuelles dans la foulée de la vague de dénonciations de l’été 2020. « Les organismes qui traitent de cet aspect le disent, mais nous, on le voit aussi : il y a plus de violence conjugale, et cette violence est plus violente », dit Sophie Gagnon.

Cette dernière explique cette montée de cas par la dynamique de contrôle (contrôle des finances, contrôle de l’habillement de l’autre, etc.) qui est accentuée avec les conditions sanitaires que nous connaissons.

Il y a une augmentation du nombre de leviers que les conjoints violents utilisent pour contrôler l’autre. Une femme qui ne peut plus aller à son travail tous les jours risque davantage de subir le contrôle de l’autre. Il y a un filet de sécurité qui n’est plus là autour des victimes.

Sophie Gagnon, directrice générale de Juripop

Juripop doit également composer avec un grand nombre de dossiers liés au logement. L’organisme a récemment représenté une femme qui avait dû quitter son logement dont elle ne pouvait plus assumer le loyer en raison de la COVID-19. Plusieurs OBNL se tournent vers Juripop pour tenter de négocier avec des propriétaires qui exigent d’être payés.

« La pandémie a exacerbé les inégalités sociales, dit Sophie Gagnon. Les personnes bien nanties ont rapidement repris leur train de vie, alors que les jeunes et les femmes qui ont perdu leur emploi font face à de gros défis. Souvent, quand on perd son emploi ou son appartement, on est confrontés à des questions juridiques, mais on perd aussi les moyens qu’on avait pour faire valoir ses droits. »

On a beaucoup parlé de la révolution technologique qui a frappé le monde juridique au cours des derniers mois, notamment avec les procès qui sont tenus en virtuel. « Mais on oublie que pour une clientèle en région éloignée ou plus âgée, c’est un enjeu important, dit Sophie Gagnon. Témoigner à un procès par Teams, ça peut faire augmenter la dose de stress. »

Juripop réussit à maintenir la plupart de ses activités, mais certaines souffrent du contexte pandémique, notamment La caravane pour les aînés. « On a dû se mettre au virtuel, mais il y a des résidences pour personnes âgées qui ne sont pas équipées pour accueillir cette initiative. Ce sont des milliers de personnes âgées qu’on rejoignait avec lesquelles il est maintenant difficile d’établir un contact. »

Il est vrai que nous avons tendance à croire que, de nos jours, tout le monde a accès aux nouvelles technologies. Sophie Gagnon évoque ces gens qui débarquent dans des cliniques d’information que Juripop organise dans des stations de métro avec « des sacs remplis de documents ».

C’est dans ce contexte que Juripop accueille une nouvelle présidente, Pascale Pageau, qui a fondé il y a une quinzaine d’années Delegatus, collectif d’avocats spécialisés dans le droit des affaires.

« On retrouve une vision commune avec Juripop, c’est-à-dire qu’on se demande comment pratiquer le droit autrement, dit Mme Pageau. J’aime croire que l’on peut axer le droit sur la bienveillance, sur l’humain et sur le client. Notre philosophie de base, c’est le droit d’être heureux, autant pour l’avocat que pour le client. »

Il était naturel que Sophie Gagnon aille frapper à la porte de Pascale Pageau. « Il y a eu une étincelle, dit MPageau. Nous sommes deux têtes fortes qui veulent apporter une créativité au droit pour faire les choses différemment. »

Sophie Gagnon renchérit. « L’ancien bâtonnier Paul-Matthieu Grondin disait que si un avocat qui pratiquait dans les années 1960 se retrouvait à travailler aujourd’hui, il n’aurait pas un gros choc culturel. On pratique le droit de la même manière qu’il y a plusieurs décennies, alors que la société a beaucoup changé. Le droit évolue à pas de tortue. »

Pascale Pageau a l’intention de travailler afin d’augmenter le financement de l’organisme, qui, pour le moment, opère avec un budget d’environ 3 millions de dollars (aide gouvernementale et dons). « Il faut une aide accrue des grandes entreprises et des corporations, dit Pascale Pageau. L’accessibilité à la justice, ça passe par le gouvernement, mais aussi par la société. »

Sophie Gagnon ajoute, en riant : « Nous sommes le seul bureau d’avocats qui perd de l’argent à chaque consultation. »

Mars est le mois de la justice. Voilà une belle occasion de réfléchir à cette valeur qui occupe beaucoup de place dans nos vies. Et voir comment on peut la faire évoluer.

Consultez les projets de Juripop à l’occasion du mois de la justice