Ce qui se passe à Ottawa est hallucinant. Depuis une semaine, le centre-ville est occupé par des manifestants qui se comportent comme des hooligans.

À grands coups de klaxon, à toute heure du jour et de la nuit, ces manifestants qui participent au plus beau jeu de rôle de leur vie – libârtéééé – emmerdent toute une ville.

Et nos William Wallace1 québécois ambitionnent maintenant de faire une reprise du film Braveheart, « Braveheart en camion », à Québec, pour avoir eux aussi leurs 15 minutes de gloriole.

Le centre de la ville d’Ottawa est donc occupé, un siège toléré par une police municipale qui semble avoir peur de ces good old Canadian boys qui ont parqué leurs camions comme si la rue leur appartenait. La GRC, elle, est aux abonnés absents.

On note à Ottawa des actes de vandalisme, de l’intimidation envers des résidants qui osent porter le masque ainsi que des incivilités scénarisées dans les commerces qui appliquent les normes sanitaires…

Tout ça à répétition, jour et nuit.

Ah, je sais, je sais : les manifestants (et leurs partisans) parlent d’exceptions à la règle…

Bullshit.

On a vu. On a lu. On voit. On comprend. Les témoignages décrivant des comportements de hooligans à Ottawa sont trop nombreux et trop faciles à trouver pour penser qu’il s’agit uniquement de l’œuvre de quelques pommes pourries2.

Que des citoyens en colère manifestent leur colère, c’est une chose. Mais ce qu’on voit à Ottawa, cette sorte de « révolte » organisée par des gens qui veulent un coup d’État, qui manifestent à Ottawa pour des demandes qui relèvent des provinces, c’est une forme de maladie infantile d’une démocratie en santé : la rougeole d’une société ouverte.

Les manifestants d’Ottawa – et leurs imitateurs qui veulent occuper Québec – incarnent bien le seul pouvoir des militants antisanitaires, depuis 18 mois : un pouvoir de nuisance.

Mais, des fois, une sacrée grosse nuisance.

Les partis politiques qui ont essayé d’instrumentaliser cette colère sont peu nombreux. On peut penser au Parti populaire du Canada et au Parti conservateur du Québec. Maxime Bernier et Éric Duhaime ont prouvé avec brio qu’ils n’ont aucun scrupule à jouer avec des allumettes sur la citerne à essence de l’ignorance, de la désinformation et du populisme.

Mais les partis établis, eux, se sont tenus loin de ce petit pourcentage de citoyens qui pensent que FUCK LEGAULT et FUCK TRUDEAU sont des programmes politiques légitimes et que nos chefs de gouvernements sont des traîtres qui devraient être pendus pour mettre un terme à la « dictature »…

Jusqu’à cette semaine.

Depuis une semaine, le Parti conservateur du Canada (PCC) a commencé à flirter ouvertement avec cette portion bruyante de l’électorat qui pense que le premier ministre du Canada est un traître et que le Canada n’est pas un pays libre. Depuis une semaine, des députés conservateurs – pas tous – se collent sans vergogne à la manif d’Ottawa. Je me souviens d’une époque où les agitateurs de l’extrême droite3 étaient snobés par toute la classe politique canadienne. Cette époque semble révolue.

Ce flirt des éléments les plus radicaux du PCC avec des manifestants divorcés du réel a exposé les fissures entre les ailes lucide et paranoïaque du caucus conservateur. Ce fut le dernier clou dans le cercueil du chef Erin O’Toole, expulsé avant-hier sous l’impulsion de l’aile trumpiste de son parti.

J’ai toujours pensé que le Canada et le Québec étaient immunisés contre le poison national-populiste à la Front national – des trumpistes avant l’heure – parce que les idées d’extrême droite n’ont ici à peu près aucun relais politique. Mais je regarde ce qui se passe au Parti conservateur du Canada et je me désole de constater que c’est en train de changer. Je ne suis pas le seul. Au journal Globe and Mail, deux chroniqueurs pas particulièrement à gauche – Andrew Coyne et John Ibbitson – parlent ouvertement d’un parti sur le point d’imploser sous l’influence de ses radicaux.

Coyne4 : « En un mot, le problème du Parti conservateur est l’extrémisme, qui même s’il ne définit pas le parti en entier est suffisant pour le salir entièrement. »

Ibbitson5 : « Le grand problème est que la base militante du Parti conservateur devient plus extrême : elle ajoute l’opposition aux vaccins à son mantra d’appui au droit aux armes, d’opposition à l’avortement et de scepticisme sur la sévérité des changements climatiques. »

Je sais bien que dans notre système politique uninominal à un tour, un Parti conservateur qui embrasserait complètement et ouvertement le trumpisme aurait bien peu de chances de former le gouvernement, dans ce pays.

Mais le problème est ailleurs : la nuisance de ceux qui sévissent à coups de FUCK LEGAULT FUCK TRUDEAU ON VA JAMMER FUCK TOUTE LIBÂÂÂRTÉ va bientôt obtenir des relais politiques solides au Parlement du Canada.

C’était une chose de courtiser les conservateurs sociaux qui veulent rendre l’avortement illégal. C’en est une autre de courtiser les suiveux d’illuminés d’extrême droite qui pensent qu’on vit en dictature, que tout le monde est corrompu et que des dirigeants politiques élus devraient être arrêtés pour trahison.

Le maire d’Ottawa, Jim Watson, a durement critiqué les députés conservateurs – comme l’ancien chef Andrew Scheer – qui se sont collés sur les hooligans qui paralysent sa ville, qui terrorisent ses habitants, en disant que c’était honteux (a disgrace)6.

C’est le bon mot pour décrire le flirt du Parti conservateur avec le national-populisme désinformé et parano.

1. Regardez un extrait de Braveheart (en anglais) 2. Lisez un texte d’opinion du Globe and Mail (en anglais) 3. Lisez la chronique « Le trumpisme canadien fait un tour de camion » 4. Lisez la chronique d’Andrew Coyne du Globe and Mail (en anglais) 5. Lisez la chronique de John Ibbitson du Globe and Mail (en anglais) 6. Lisez un texte de CTV News (en anglais)