Il y avait de la fébrilité dans l’air au bord de l’autoroute 40. Nous étions une vingtaine à attendre sa venue. Peu après 11 h, il est apparu comme une star, posant pour les caméras avant de prendre place derrière une forêt de micros. Devant lui, un parterre de journalistes. Derrière, un décor solennel : des drapeaux du Québec, du Canada et des États-Unis.

Suspense. James William Awad allait-il annoncer la création du Parti des Ostrogoths en vacances ?

Pas du tout. S’il avait convié les journalistes en conférence de presse, c’était essentiellement pour faire la promo d’un évènement virtuel qu’il organisera pour la Saint-Valentin.

Sans blague. Je vous donnerais bien les détails, mais j’étais tellement abasourdie par l’absurdité de la situation que j’ai oublié de prendre des notes.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

James William Awad

Mais rien n’est perdu, chers lecteurs, puisque j’ai tout de même retrouvé mes esprits à temps pour noter cette déclaration choc : « Après le Mexique, je suis allé à Disneyland. Je conseille à tout le monde d’aller à Disneyland. C’est vraiment l’fun. »

Vous pensez bien que, cette fois, j’ai gribouillé frénétiquement la phrase dans mon calepin.

Dis-ney-land…

Vrai-ment-l’fun…

C’est sans doute ce que l’Ostrogoth-en-chef a dit de plus pertinent aux journalistes entassés dans le hall d’entrée de son siège social, écrin vide pour ses coquilles vides.

Il faut dire que les reporters n’avaient pas droit à plus qu’une question, sous peine d’expulsion immédiate.

« Avez-vous déjà fraudé ?

— Non. Prochaine question ? »

Mettons que ça limite la conversation.

Cela dit, Yves Poirier a usé d’un habile subterfuge, se présentant tantôt comme un journaliste de TVA, tantôt de l’agence QMI, tantôt de « l’empire Québecor » (ses mots). Sa couverture était parfaite. Tout le monde n’y a vu que du feu.

N’ayant pas la chance de bosser pour un empire, j’ai gaspillé mon unique question en demandant à James Awad s’il admettait que c’était quand même un petit peu dangereux, de faire le gros party dans un avion…

Je l’ai regretté. J’aurais dû poser la question qui taraude désormais tous ceux qui n’avaient rien de mieux à faire, jeudi matin, que d’écouter cette conférence de presse en direct : on mène ça comment, au juste, une vie décentralisée ? En s’aménageant un domaine à Bois-des-Filion ? En investissant dans une myriade d’entreprises dont personne n’a jamais entendu parler ?

Si la vie vous a épargné l’écoute de cette conférence de presse surréaliste, sachez que la « vie décentralisée » est la clé du succès de James Awad. Sa réponse à tout.

Pourquoi a-t-il brassé des affaires avec un fraudeur ?

« Je vois la vie d’une façon décentralisée. »

Comment a-t-il fait fortune ?

« On vit une vie décentralisée. »

Pourquoi ses invités se sont-ils enduit les narines de vaseline pour déjouer les tests COVID-19 ?

« On vit dans un monde décentralisé. »

La réponse fusait invariablement, comme si cette vie décentralisée expliquait tout. Comme si ça voulait dire quelque chose.

L’ironie, bien sûr, c’est que James William Awad semble totalement centré sur son propre nombril.

Je sais, je lui donne une tribune. Je contribue à nourrir son ego déjà surdimensionné. Mais avouez que cette histoire pleine de rebondissements est fascinante.

Elle soulève aussi de véritables questions d’intérêt public. L’enquête de mes collègues, publiée mercredi, a révélé que l’homme d’affaires de 28 ans était sur le radar d’au moins deux entités réglementaires.

Lisez l’enquête « Organisateur du vol controversé : sur le radar des autorités »

Vous avez lu cette enquête solide, qui soulève des questions fort troublantes sur l’origine de la fortune du millionnaire de Bois-des-Filion ? Vous l’avez appréciée ?

Eh bien, James Awad aussi. « J’ai aimé lire cet article », a-t-il texté à ma collègue Mayssa Ferah, qui l’a interviewé pendant plus de deux heures.

Si La Presse papier existait encore, il ferait sans doute laminer le reportage. Littéralement : depuis la médiatisation du vol Montréal-Cancún de Sunwing, il fait laminer les articles dévastateurs à son sujet !

Jeudi, après avoir été bombardé de questions qui m’auraient donné envie d’aller me cacher sous une roche, il a confié aux journalistes qu’il avait trouvé ça « vraiment l’fun » de les rencontrer…

Tout compte fait, ce gars-là vit bien dans un monde décentralisé. Je dirais même un monde parallèle.

James Awad prétend avoir gagné des millions en vendant à « plusieurs compagnies nationales et internationales » un programme informatique inventé à l’âge de 14 ans.

Quelles entreprises ? Ah, ça ! Il ne peut pas le dire. Confidentiel.

En entrevue, Mayssa Ferah a dû faire face au roi de l’esquive. Les réponses de James Awad bifurquaient dans tous les sens. Au point, souvent, de ne pas tenir la route…

À plusieurs reprises, il lui a expliqué ne pas pouvoir répondre à une question précise parce qu’il réservait cela pour sa biographie. « J’aimerais tellement ça vous le dire, mais je vais vous en parler dans mon livre. »

Ça me rappelle une entrevue que j’ai menée, le 15 mai 2015, à une table du restaurant de l’hôtel Bonaventure. Mon interlocuteur utilisait le même prétexte pour refuser de répondre à mes questions : il était en train d’écrire un livre sur sa vie. « Ça, tu le comprendras dans le bouquin », me répétait-il.

Sept ans plus tard, on attend toujours les mémoires de François Bugingo.