Au ministère des Finances, les meilleurs cerveaux s’agitent sur leur calculatrice pour savoir comment imposer une contribution aux non-vaccinés.

François Legault a lancé sa commande à la fin de décembre en conférence de presse. Mais à Québec, on est passé vite sur une étape. Avant de débattre du « comment », il aurait fallu réfléchir davantage au « pourquoi ».

Quel est le but ? La contribution aiderait-elle à l’atteindre ? Et si oui, l’imposer serait-il éthique ?

La vie faisant très bien les choses, le Québec possède une Commission sur l’éthique de la science et de la technologie. Son président, Jocelyn Maclure, enseigne la philosophie à l’Université McGill. Cette commission relève désormais du ministère de l’Économie et de l’Innovation. Puisque personne au gouvernement n’a demandé son avis, je me suis dit que ce serait pertinent de l’appeler.

Version courte, pour les lecteurs pressés : M. Maclure ne trouve pas que c’est une bonne idée.

Voici maintenant la version un peu plus longue.

Quel est le problème exactement, professeur ?

Avant de répondre, il précise qu’on ignore encore quel montant serait facturé, par quelle instance, à quel moment et avec quelles possibles exceptions.

Mais il se méfie de l’approche.

Le système de santé est financé à partir de l’impôt, selon une logique progressiste. Plus on est riche, plus on y contribue. On ne fait pas payer les gens selon leurs soins reçus, leur niveau de risque ou leur comportement, dit-il.

Mais n’est-ce pas ce qu’on fait indirectement avec le tabac ?

« C’est une taxe prélevée sur un produit pour lequel on paye déjà, répond-il. Les soins de santé ne sont pas un bien de consommation. On ne sort pas sa carte de crédit à l’hôpital pour payer sa visite. »

Aux yeux du gouvernement, la contribution aux non-vaccinés aurait toutefois le même effet que la taxe sur le tabac : elle inciterait à changer un comportement nocif pour la santé et coûteux pour la collectivité, tout en aidant à financer les services publics.

La réalité est plus complexe, croit M. Maclure.

Les non-vaccinés ne forment pas un bloc monolithique. Certains hésitent à recevoir leurs doses, d’autres les refusent fermement et une minorité très bruyante dénonce l’existence même du vaccin.

« Et là encore, c’est un portrait simpliste. Il faut enquêter pour savoir combien refusent pour des raisons de santé mentale, à cause de la barrière de la langue ou d’autres problèmes socioéconomiques », explique-t-il.

Il reconnaît que la contribution pourrait être ajustée pour atténuer ses effets régressifs, par exemple en passant par la déclaration de revenus afin d’épargner les sans-abri qui n’en produisent pas. Mais sur le fond, il reste sceptique.

Selon la théorie économique classique, les gens réagissent de façon rationnelle à des incitatifs financiers. C’est une vision simpliste de la nature humaine. Certains se feront sans doute vacciner pour éviter l’amende. Mais il est probable que d’autres se radicaliseront contre les mesures sanitaires, que des riches payeront sans broncher, que des indécis deviendront plus méfiants et que des pauvres se ramasseront avec une facture de plus.

« En attendant d’avoir un portrait précis, je ne vois qu’un objectif certain à cette contribution : punir les non-vaccinés pour plaire à la majorité. Ce n’est pas une justification valable. »

Que proposez-vous alors, monsieur le philosophe ?

« Élargir le passeport vaccinal. C’est une mesure qui répond à un but légitime : réduire en amont les contacts des non-vaccinés pour ralentir la progression du virus. »

Mais là encore, l’application du passeport aux succursales de la SAQ et de la SQDC le laisse sceptique. « Le but est de réduire les contacts à risque. Est-ce le cas d’une personne qui magasine avec le masque durant une courte période ? Ou est-ce qu’on veut plutôt calmer la grogne en privant les non-vaccinés d’un service ? Je ne suis pas forcément contre, mais on ne devrait pas commencer par là. »

M. Maclure préférerait appliquer le passeport vaccinal au travail, y compris pour les employés de la SAQ qui passent toute la journée dans la succursale. Et l’exiger aussi dans les cégeps et les universités, pour les profs et les étudiants.

« Il y a quelques mois, je prônais le passeport seulement pour les services non essentiels. Ce n’est pas banal de porter atteinte au droit au travail et à l’éducation. Mais étant donné la gravité de la situation, nous en sommes rendus là. Pensons à un salon de coiffure. Pour protéger les collègues et les clients, il est raisonnable d’exiger qu’un coiffeur ou une coiffeuse soit vacciné. »

Des spécialistes en santé mentale braquent les projecteurs sur les méfaits du passeport auprès de ces gens vulnérables, et c’est très bien, dit M. Maclure. « Mais on ne peut se limiter à une analyse unilatérale. Il faut regarder toutes les catégories d’individus, y compris les victimes du délestage. Elles aussi souffrent. »

Il reconnaît que l’élargissement du passeport ciblerait de façon disproportionnée des personnes démunies. « Peu importe ce que l’on fait, il y aurait des conséquences négatives. Ne rien faire mène également à des problèmes. On doit garder une vision d’ensemble. »

Fidèle à son habitude, le ton du philosophe reste doux et compatissant. Malgré ses critiques, je sens chez lui une forme d’empathie pour les dirigeants.

Car comme il le résume bien, « la pandémie exige des choix tragiques ».