C’est une histoire de cancer, mais elle ne va pas vous abattre. Je vous rassure.

Au contraire, je suis ressorti de ma rencontre avec Léon Khachkhachian le cœur plus léger. Ce Montréalais, d’origine arménienne, né au Liban, m’a raconté sa maladie, la perte d’un œil, l’attente d’une échéance, et il l’a fait en augmentant la luminosité de la pièce où nous étions.

Nous nous sommes rencontrés à la maison de soins palliatifs St-Raphaël. Léon fréquente son centre de jour, car il ne sait pas à quel moment il va « monter en haut », c’est-à-dire dans l’une des chambres réservées à ceux et celles qui sont en fin de vie.

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Maison de soins palliatifs St-Raphaël, à Montréal

Léon se souvient très bien de ce qu’il a vécu le 18 janvier 2016. « Je regardais la télévision et, tout à coup, il y a eu des lumières dans l’un de mes yeux, m’a-t-il raconté. Je croyais que ça venait de la télé. »

Son optométriste l’a aussitôt dirigé vers une spécialiste qui lui a annoncé qu’il souffrait d’un mélanome oculaire, un cancer qui affecte généralement l’uvée, la couche entre la rétine et le blanc de l’œil.

Après deux interventions, ses médecins ont pris la décision de lui retirer l’œil gauche. Quand des métastases ont été détectées sur son foie, Léon a pris la décision de ne pas recevoir de traitements.

Les spécialistes lui ont alors donné une espérance de vie d’un an. L’homme de 60 ans a dépassé ce seuil. « Je suis chanceux, ma tumeur ne progresse pas beaucoup », dit-il.

Léon vit au jour le jour. Il refuse de se laisser abattre par cette dure réalité. Il a donc cherché des façons de garder la tête hors de l’eau. C’est ainsi qu’il a eu l’idée d’aller vers Anne Lacourse, musicothérapeute qui accompagne les gens qui fréquentent le centre de jour de la maison St-Raphaël et ceux qui occupent les chambres.

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Anne Lacourse, musicothérapeute

Anne conjugue de diverses façons le rôle de la musique avec les gens qu’elle voit. « Parfois, je fais de la musique avec eux, d’autres fois, on chante. Il m’arrive aussi d’improviser et de leur offrir un peu de moments de détente, me confie-t-elle dans sa salle de musique. Avec d’autres personnes, je fais des enregistrements qu’elles souhaitent léguer à leurs proches. »

Avec Léon, les séances de musicothérapie ont pris la forme d’une relation auteur et compositrice. Il écrit des textes qu’Anne met en musique. « J’ai toujours aimé l’opéra, mais ma relation avec la musique s’arrêtait là », dit-il.

Anne a demandé un premier texte à Léon. Cela a donné Dans mes rêves, qui a visiblement inspiré Anne. Elle en a fait une très belle chanson, qu’elle a d’ailleurs interprétée devant moi.

« Quand je dors, je songe, je contemple, je pleure, j’hurle », a chanté Anne de sa douce voix. L’émotion était forte dans la pièce.

« J’ai écrit ce texte, car dans mes rêves, je suis en santé, j’ai encore mes deux yeux », a dit Léon.

À partir de cette première collaboration, la soupape a été levée. Léon a écrit 22 autres textes. « Il est trop prolifique pour moi, a ajouté Anne en riant. Pour le moment, trois chansons sont achevées. »

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Paroles de la chanson Dans mes rêves

Léon a découvert qu’il pouvait écrire. Et que le fait de coucher des mots sur papier permet de dire les choses autrement.

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Léon Khachkhachian

On dirait que toute la souffrance que j’avais en moi est sortie. Je me souviens d’avoir dit à Anne que c’était comme s’il y avait un autre Léon en moi qui vivait.

Léon Khachkhachian

Celui qui a longtemps été technicien en informatique a mis sa carrière de côté. Outre ses rencontres avec Anne, il participe à des réunions avec d’autres gens qui ont un mélanome oculaire. Pour le reste, il prend soin de lui. Achille Volpi, acuponcteur de la maison St-Raphaël, l’aide à soulager ses douleurs et son anxiété.

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Léon Khachkhachian et Anne Lacourse

« Je suis bien entouré, dit Léon. Mon frère est mon meilleur ami. J’ai des nièces merveilleuses, de bons amis. C’est sûr que je vis une incertitude, et je me demande à quel moment le mauvais scanneur viendra. Mais comme je le dis dans ma chanson : la vie est belle, la vie est triste… Et ça, c’est bon pour tout le monde. »

Et là, avant que je ne le quitte, il a eu cette phrase étonnante. « Vous savez, ces histoires de gens qui meurent et qui reviennent en disant qu’ils ont vu une lumière… Il y a des jours, j’ai presque hâte de la voir. »

J’ai laissé Léon et Anne à leur séance de travail. Ils se sont mis à discuter d’un sujet de chanson. C’est là que j’ai compris qu’en s’adonnant à ces ateliers, Léon ne mettait pas sa destinée au rancart. Il en devenait l’auteur. Donc le maître.