On sait que 12 000 cas, que 13 000 cas, que 15 000 cas par jour, ça ne dit pas tout : la capacité de dépistage du Québec est submergée. On sait que le décompte quotidien ne donne qu’un aperçu de l’hécatombe actuelle. Ce qui l’est, fiable, c’est le taux de positivité.

Le taux de positivité, c’est le pourcentage de cas positifs parmi les Québécois testés lors d’une journée donnée.

Il est de 24 % présentement.

Un Québécois sur quatre !

Bref, la grange est en feu.

La grange est en feu et la question se pose, avec urgence : on fait quoi, là, maintenant ?

Je ne parle pas du passé. Le passé est bien sûr fait d’occasions ratées. J’en ai parlé récemment à propos des tests rapides et de l’administration de la troisième dose (1).

Je pense aussi, comme l’analyste Patrick Déry (2), qu’Horacio Arruda a fait son temps à la tête de notre Santé publique.

Il dit trop souvent des choses qui sont contredites par des scientifiques. Il s’emmêle dans ses explications, en conférence de presse. Le DArruda est mûr pour de nouveaux défis.

Mais on fait quoi, là, maintenant ?

Alors que la grange est en feu ?

On a eu près de 13 000 cas, mardi. Les « bris de service » ne sont pas uniquement en train de survenir dans le réseau de la santé. Ce sont tous les pans de la société qui en souffrent, parce que des travailleurs sont infectés. Aux États-Unis, idem : il n’y a pas de confinement officiel, mais une sorte de demi-confinement dans certains endroits, parce que trop de travailleurs sont en isolement (3).

Au Québec, on ne vous le dira pas trop fort, mais la Sûreté du Québec couvre présentement les arrières de corps de police municipaux qui sont frappés par de nombreuses éclosions. C’est un exemple. Ce genre d’interruption de service, actuellement, touche tous les pans de notre société.

Parfait, alors, pour le secteur de la santé… on fait quoi ?

Le gouvernement a fait son nid. Le ministre Christian Dubé l’a annoncé hier : des travailleurs de la santé qui ont reçu un test positif, mais qui sont asymptomatiques, pourront être appelés à continuer à travailler. Il a parlé d’un « changement de paradigme ».

Pour un changement de paradigme, c’en est tout un.

Aux États-Unis, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), l’agence de santé publique fédérale, vient de raccourcir à cinq jours la période d’isolement des personnes positives. C’est aussi un changement de paradigme. Je note qu’il est contesté, cependant. Mais le Dr Anthony Fauci, lui, appuie les CDC au nom d’un principe : « La perfection ne peut pas être l’ennemie du bien. » (4)

Le gouvernement du Québec a donc ouvert la porte à ce que des travailleurs de la santé – à des conditions qui restent à déterminer – puissent retourner travailler s’ils sont positifs et asymptomatiques.

Je note aussi que le gouvernement a pris ses conseils, pour ce « nouveau paradigme », d’un comité d’experts. On y retrouve des regroupements et des médecins comme le microbiologiste Karl Weiss, l’éthicienne Marie-Eve Bouthillier, le gériatre David Lussier, le Collège des médecins, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux ainsi que l’intensiviste Joseph Dahine…

Au vu de la situation actuelle, c’est un moindre mal, si l’autre option est une interruption de service.

Ou, même, pas de service.

Prenons le cas, pas tout à fait fictif, d’un hôpital qui compte sept gynécologues-obstétriciennes. Quatre sont en isolement. Il en reste trois, pour l’instant, pour assurer les accouchements…

On fait quoi si les trois autres médecins reçoivent un résultat positif ? On arrête les accouchements dans cet hôpital ?

Vous vous fracturez une jambe en ski. Préférez-vous être opéré ce soir par un chirurgien qui a été déclaré positif et qui est asymptomatique… ou dans – peut-être – une semaine, une semaine et demie, par une chirurgienne qui n’est pas infectée ?

J’ajoute à l’équation que je pose devant vous, cher lecteur : une fracture de la jambe non traitée peut parfois entraîner des complications graves et irrémédiables.

Alors, quelle est votre réponse ?

La mienne : tout de suite, svp, même si le chirurgien est positif et asymptomatique.

Heureusement, j’ai ma troisième dose : mes risques de développer des complications sont minimes. Même les doubles dosés, s’ils sont infectés, ont des risques de complications minimes.

De toute façon, à 24 % de taux de positivité, je peux aussi attraper le virus de quiconque viendra m’aider – des proches et des soignants – parce que je suis alité.

La Santé est un vaste archipel qui comprend des hôpitaux universitaires de pointe et de petites « ressources intermédiaires », où des soignants s’occupent dans l’ombre de jeunes autistes et de vieilles dames atteintes d’alzheimer. Cet archipel fonctionne avec des travailleurs qui, à cause du variant Omicron, sont infectés comme le reste de la société : à la vitesse grand V…

J’ai peine à voir quelle est la solution, à défaut d’envoyer au front certains soldats infectés, mais non symptomatiques, qui traitent et côtoient une majorité de vaccinés.

On laisse les aînés en CHSLD dans leur marde pendant que trois préposés font le job de sept ?

On nourrit les autistes en ressources intermédiaires une fois sur deux parce que deux des trois employés sont en isolement… mais pas malades ?

On arrête d’accoucher les femmes ?

Je pense qu’avec certaines balises, alors que la grange brûle, ce « nouveau paradigme » de travailleurs infectés mais pas malades qu’on envoie au front est un moindre mal.

Je note que la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) appuie cette approche.

Je note aussi, sans surprise, que les syndicats – bonjour la FIQ, la CSN, la CSQ et compagnie ! – la rejettent en bloc (5). Ce rejet de syndicats majeurs est tout à fait en phase avec l’approche syndicale depuis le début de la pandémie, approche que je dénonce depuis le printemps 2020 : détestable (6) et divorcée du réel (7).

Voyez-vous l’ironie, ici ?

Les syndicats qui ont combattu bec et ongles pour que leurs membres non vaccinés puissent continuer à travailler sans être sanctionnés (et qui n’ont jamais publiquement condamné ces irresponsables) s’émeuvent désormais, la main sur le cœur, que des travailleurs de la santé asymptomatiques puissent être envoyés au feu alors que la grange brûle…

Pas mêlant : les syndicats ont des mots plus durs pour le gouvernement que pour leurs camarades antivax dont ils ont défendu le « droit » de travailler en se fichant des malades et des collègues.

Tout ça sans apporter de solution concrète.

Euh, que dire, camarades ?

Je préfère ne rien dire, je pourrais dire des gros mots, le boss préfère que je me retienne d’en dire pendant les Fêtes.

Je vais juste dire : LOL.

1. LISEZ « Trois réflexions sur la journée à 9000 cas » 2. LISEZ « Il faut revoir le casting pandémique » 3. LISEZ « Omicron Is Pushing America Into Soft Lockdown » (en anglais) 4. ÉCOUTEZ l’entrevue « Dr. Fauci explains new CDC isolation guidelines » (en anglais) 5. LISEZ « Retour au travail de professionnels de la santé asymptomatiques : “On est pris dans un étau” » 6. LISEZ « Les lavabos » 7. LISEZ « Les lavabos, la suite »