C’était par un matin récent, à l’école secondaire Henri-Bourassa, à Montréal-Nord. Plus précisément, dans une petite pièce dans laquelle on avait aménagé des tables. Et sur les tables, il y avait…

Des petites voitures, des petits camions.

Des livres de toutes sortes.

Des jeux de société, des casse-têtes, des jeux de cartes.

Des toutous, beaucoup, beaucoup, beaucoup de toutous.

Des Barbie et d’autres poupées. Et des maisons de poupées.

Des pouliches, des dragons. Des châteaux de pouliches.

Des gants de baseball, des casques de baseball, des masques pour la baignade, des ballons.

Des cordes à danser, des jeux de tricot et des sacs à dos.

Bref, il y avait des bébelles à l’infini, sur ces tables.

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De gauche à droite : Mélanie Bergeron, enseignante, et ses élèves Dit Amen Alfonse Matondo et Jackim Didice

C’était donc par un matin récent, dans une petite pièce de l’école secondaire Henri-Bourassa et pour le quatrième mois de décembre d'affilée, à l’initiative de l’enseignante Mélanie Bergeron, que des dizaines de jeunes de l’école pouvaient venir se « magasiner » des cadeaux.

Pas pour eux, non.

Pour leurs petits frères, pour leurs petites sœurs.

Mélanie, enseignante à Henri-Bourassa depuis 21 ans, en a eu l’idée alors qu’elle ne savait plus quoi faire des jouets de ses enfants. Elle a pensé à l’époque les donner à ses propres élèves, avant de cliquer : « Ben non, mes enfants sont plus jeunes que mes élèves, ça ne marchera pas… »

Puis Mélanie a pensé : mais eux, ils ont de petits frères, de petites sœurs.

Je voyais aller mes élèves, ils sont toujours fébriles, à l’approche des Fêtes. C’est pas toujours facile, pour eux, le congé des Fêtes : ils vivent souvent dans de petits apparts, avec beaucoup de monde…

Mélanie Bergeron, enseignante à l’école Henri-Bourassa

C’est ainsi que l’idée née dans la tête de Mélanie a germé dans le réel, depuis quatre ans. Elle a sollicité son réseau pour des jouets qui ne servaient plus. Ses amis, et Facebook. La réponse a été extraordinaire. « Les gens savent où ça va, à quoi ça va servir, dit Mélanie. Ils aiment ça, ils se sentent utiles. »

« C’est pas toujours facile, pour eux. » Je reviens sur cette phrase de Mélanie : Montréal-Nord, c’est un de ces quartiers qui reçoivent les nouveaux arrivants. On atterrit où on peut se loger, pas trop cher. Beaucoup d’immigrants débarquent dans le quartier et leurs enfants fréquentent les écoles du coin, comme Henri-Bourassa.

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Des jouets neufs et d'occasion récoltés par Mme Mélanie Bergeron

Sur les tables, il y a même quelques jouets neufs. Et les jouets qui ne sont pas neufs sont toujours beaux, fonctionnels. Je veux dire par là que personne ne sera gêné de les donner, ces jouets. Le commentaire qui revient le plus souvent, dans la bouche des jeunes invités à venir choisir des cadeaux, ceux qui sont dans le programme pour jeunes qui ont des enjeux scolaires du nom de PREVU : « C’est gratuit ? Je peux vraiment en prendre ? »

Dans la pièce, lors de ma visite, les jeunes regardaient de manière studieuse les jouets, je les voyais faire mentalement le jumelage : tel jouet pourrait être donné à telle personne…

Les jeunes étaient d’une fébrilité toute contenue, en bourdonnant autour des tables. Ça prenait des jouets, ça les inspectait. Ça les prenait, ça les remettait en place. C’était franchement beau à voir.

Ils étaient quasiment sages comme des images, en faisant leur magasinage.

C’est dans l’autre pièce, adjacente, que ça se gâtait !

Ça se gâtait parce que dans l’autre pièce, c’était l’emballage des cadeaux. Les kids sont invités à emballer eux-mêmes leurs cadeaux, après le magasinage.

Hé là là, comment dire…

Bruit de scotch tape qu’on déroule, bruissement de papier-cadeau, fous rires, éclats de voix : la scène était dantesque. Partout, des ados qui emballaient leurs cadeaux, avec une maladresse et une gaucherie attendrissantes.

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Bruit de scotch tape qu’on déroule, bruissement de papier-cadeau, fous rires, éclats de voix : la scène était dantesque.

Je pense que le garçon que j’ai aidé à emballer un toutou s’appelait Jackim. Autour de nous, une douzaine d’ados se dépêtraient avec du ruban adhésif qui s’enroulait obstinément autour de leurs doigts, dans des éclats de rire et quelques grognements de frustration.

« Pas facile d’emballer un toutou, hein, Jackim ?

— C’est ma première fois. »

C’est la première fois qu’il emballait un cadeau, point.

« C’est pour qui, le chien en peluche, Jackim ?

— Pour mon cousin.

— As-tu hâte de le lui donner ?

— Ah, oui. Je vais demander à mon père qu’on aille chez lui, le 25. Il va être surpris !

— Il a quel âge, ton cousin ?

— Il a 4 ans. »

Tous des enfants « issus de l’immigration », selon l’expression consacrée. Comme Dit Amen Alfonse, au panache immanquable avec ses billes blanches au bout de la spectaculaire arborescence de petites tresses sur sa tête.

« T’as pris quoi, Dit Amen ?

— Pour mon frère, un jouet télécommandé de Star Wars.

— Et pour ta sœur ?

— Des poupées. »

Les parents de Dit Amen sont nés au Congo. Dit Amen et son frère sont nés en Angola. Leur sœur est née au Brésil. J’aimerais vous dire que c’est parce que la famille Alfonse aime beaucoup le tourisme, mais vous devinez bien que c’est un peu plus compliqué que ça…

« T’es au Québec depuis quand, Dit Amen ?

— Depuis… »

Il réfléchit une seconde : « Depuis quatre ans. »

« Papa fait quoi ?

— Il travaille dans une usine qui fait des sacs de plastique.

— Et maman ?

— Elle travaille dans l’hôpital. Elle prend soin des personnes dans l’hôpital, des choses comme ça. »

Plus tard, des profs me diront que les histoires de vie de certains enfants sont hallucinantes d’embûches. L’immigration n’est pas une ligne droite, disons. L’un des élèves qui emballaient des cadeaux a été sauvé de la noyade par son père, alors qu’ils traversaient une rivière dans ce voyage qui allait les emmener au Québec, ultimement…

Et une fois arrivé ici avec sa famille, le père est devenu préposé aux bénéficiaires. Puis la première vague de la pandémie a frappé. Le père est mort en service, infecté.

La vie, des fois, quelle abrutie, quand même.

« T’es fier de donner des cadeaux à ton frère et à ta sœur, Dit Amen ?

— Ah ça oui !

— Pourquoi ?

— Je me sens content : il y a beaucoup de personnes qui, à Noël, peuvent pas donner des cadeaux. Certains parents ont pas l’argent. Quand j’ai vu les cadeaux, j’étais content et surpris ! Je trouve trop l’fun qu’ils aient fait ça. Ils devraient continuer ! »

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Johanna R. Jean-Michel, Isabelle Renaud, enseignante, et Enzo René-Riccio dans la salle aux merveilles

Je notais les paroles de Dit Amen dans la pièce soudainement quasiment vide quand, dans le couloir, d’autres jeunes sont débarqués par l’escalier. Le prochain groupe à venir choisir ses cadeaux.

Mélanie Bergeron était à la porte de la salle aux merveilles, avec des collègues comme Isabelle Renaud, Marilyn Amireault et Philippe Pratte. Les ados, excités comme des puces, regardaient par-dessus l’épaule de Mélanie, disons qu’on sentait qu’ils avaient hâte d’aller magasiner…

Derrière Mélanie trônait un immense bonhomme de neige gonflable.

À l’entrée de la salle aux merveilles, elle avait des instructions pour les jeunes : « J’aimerais vraiment que tout le monde prenne un livre, aussi, avec les jouets ! Vous pouvez prendre des cadeaux pour une petite sœur, un petit frère. Un petit cousin aussi, même… »

Mélanie Bergeron s’est tassée et, un à un, les élèves sont entrés dans la pièce pour une belle séance de magasinage.

J’ai pensé : y’a du bon monde partout.

Et j’ai pensé, aussi : y’a du bon monde partout, particulièrement chez nos profs.

Pour la chronique du 27 décembre

Pour la chronique du 27 décembre, il vous faudra une carcasse de dinde (ou de poulet), des carottes, du céleri, du fenouil si vous en avez, du sel et des épices. Pis des oignons. Une gousse d’ail, aussi.

Ne posez pas de questions, on s’en reparle lundi.

Joyeux Noël petit-partyïsé, tout le monde !