La santé. Une fois de plus, c’est la santé qui inquiète les Québécois et qui embête le gouvernement.

Comme tous ses prédécesseurs, François Legault s’y casse les dents. Il s’est fait élire en promettant d’améliorer l’accès à un médecin de famille, mais à moins d’une année de la fin de son mandat, l’attente a augmenté.

Mais contrairement aux anciens gouvernements, M. Legault n’en paye pas le prix.

À l’hiver 2020, les caquistes récoltaient environ 40 % des intentions de vote. Un tout petit peu plus que leur résultat aux élections.

Quand la pandémie a frappé, M. Legault recevait la moitié des appuis. Ce taux a baissé à la suite du scandale du CHSLD Herron. Mais quelques semaines plus tard, il revenait à près de 50 %.

Depuis, il reste stable, à une si haute altitude qu’il évite les turbulences.

Cette constance étonne. Il est normal que les gens se rallient derrière leurs dirigeants en temps de crise. Or, le Québec est rendu ailleurs. La solidarité des débuts s’est transformée en fatigue collective. On compte les morts, les patients qui attendent leur opération, les employées épuisées en congé de maladie et ceux qui souffrent sans accès à des soins en santé mentale. Et avec les 2000 nouveaux cas de COVID-19 diagnostiqués vendredi, ce n’est pas fini…

Les sondages mesurent ce désarroi. Léger notait au début de décembre que le gouvernement caquiste avait un talon d’Achille : la santé.

Les répondants étaient satisfaits du travail en économie, culture, langue, finances publiques, éducation et même en environnement.

Et pour la pandémie ? Les trois quarts des sondés jugeaient « plutôt bonne » ou « très bonne » la « gestion en général » de cette crise. Mais plus on entre dans le détail, moins c’est positif.

Les caquistes reçoivent une note défavorable pour leur gestion de la pandémie dans les CHSLD, pour les conditions de vie des aînés, pour l’accès aux médecins de famille et pour l’état du réseau de la santé.

Cela ne risque pas de changer d’ici la fin du mandat.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a présenté deux projets de loi cet automne pour notamment créer une plateforme centrale de rendez-vous et autoriser le partage de données des patients.

M. Dubé veut se donner les outils pour réduire l’attente à un médecin de famille. C’est un premier pas en effet, mais il ne permettra pas d’avancer très vite.

À la dernière campagne, les caquistes promettaient que tous les Québécois auraient accès à un médecin de famille. Or, la liste des gens inscrits au guichet d’attente a augmenté. Autres engagements qui ne sont pas encore réalisés : la fin du « temps supplémentaire obligatoire » et la modification du mode de rémunération des omnipraticiens.

Malgré tout, M. Dubé reste populaire auprès de ses pairs, comme le montre notre palmarès des élus de l’année. Et 60 % des Québécois ont une bonne opinion de lui.

Comment expliquer cette contradiction ?

Mon hypothèse : parce qu’ils se disent que le problème précédait l’élection des caquistes, que la pandémie l’a aggravé et que les autres partis ne feraient pas vraiment mieux. Que l’organisation du travail et la pénurie de main-d’œuvre prendront du temps à régler.

En d’autres mots, les Québécois sont habitués à être déçus…

Ce qui aide aussi les caquistes, c’est que les promesses des partis depuis 20 ans se suivent et se ressemblent. Sur le fond, il y a consensus : les conditions de travail des infirmières et du reste du personnel soignant doivent être améliorées, le virage vers les soins à domicile doit être accéléré, le mode de rémunération des médecins doit être révisé et les médecins doivent déléguer davantage de tâches aux autres professionnels.

Les propositions des partis diffèrent dans les détails, bien sûr. Mais en santé, le débat n’est pas très idéologique. Il relève davantage de la confiance. À qui faites-vous confiance pour dompter le pachyderme de la santé ?

Et là-dessus, M. Dubé mise sur sa grande réussite : la campagne de vaccination – avec un site internet efficace ! – et l’implantation du passeport vaccinal.

M. Legault doit se réjouir d’avoir remplacé Danielle McCann après la première vague de la pandémie.

On en a eu un rappel à l’enquête du bureau du coroner. Mme McCann et son ancien sous-ministre Yvan Gendron jouaient sur les mots. Ils semblaient surtout patiner pour protéger leur réputation et celle de la machine. Voilà justement tout le problème.

Le bureau du coroner et la protectrice du citoyen ont déjà montré la confusion qui règne dans ce réseau hypercentralisé.

La population peut pardonner aux décideurs d’avoir fait des erreurs dans le brouillard de la crise. Mais elle tolère moins ceux qui cautionnent encore les dysfonctions d’un réseau opaque et sclérosé. Après tout, l’« imputabilité » était censée être une valeur caquiste…

M. Dubé admet plus facilement ses erreurs, et il est moins patient envers ses fonctionnaires.

Je comprends l’opposition de réclamer une enquête publique sur la gestion de la pandémie. Cela garderait au cœur de l’actualité cet embarras pour les caquistes.

Sur le fond, toutefois, je suis partagé. La protectrice du citoyen a déjà déposé un rapport étoffé et accablant. Et la commissaire à la santé, le bureau du coroner et la vérificatrice générale ajouteront bientôt leurs propres constats. Cela commence à faire beaucoup… Sauf que tant qu’on aura l’impression que des ministres et de hauts fonctionnaires ne disent pas toute la vérité, la demande pour une enquête publique restera légitime.

Je doute toutefois que cela sauve l’opposition. Car pour les libéraux, les solidaires et les péquistes, critiquer M. Legault ne suffira pas. Leur défi est de convaincre qu’ils feraient mieux. Et ce défi reste entier.