Ça sonne chez les Tremblay ! Martine, la mère, va répondre. Elle est tout excitée. L’année dernière, personne n’a sonné. Un Noël à une bulle. Un Noël tristounet. Comme un sapin à une boule. Elle l’a passé avec son chum et leurs deux enfants. Comme la majorité des journées de l’année.

Mais ce soir, c’est le retour à la normale, ou plutôt, c’est le retour au spécial. On peut être 20 le 24 ! Martine ouvre la porte. C’est la tante Marlène et l’oncle Jean-François. Toujours les premiers arrivés. Rien n’a changé.

« Salut, la nièce ! Veux-tu voir mon passeport vaccinal ?

— Ben non, ben non, ma tante !

— Le ministre Dubé, avec sa belle voix basse, l’a dit : on peut fêter seulement entre vaccinés. Moi, j’ai eu mes trois doses. Je triple ben raide ! Tu peux me scanner !

— J’ai pas de scan, ma tante. Allez, on s’embrasse !

— Wô minute ! J’pense pas qu’on peut s’embrasser.

— Êtes-vous sûre ? Y en ont pas parlé, me semble.

— Pourtant, c’est important ! Y aurait dû faire un point de presse où François et Horacio nous auraient montré comment s’embrasser à Noël.

— On peut peut-être s’embrasser le coude ?

— Bonne idée, on s’embrasse le coude ! Smac !

— Smac ! »

Les manteaux ne sont pas aussitôt rangés que ça sonne à nouveau. Angèle, la sœur de Martine, avec ses trois enfants, 10 ans, 7 ans et 2 ans. La tante Marlène s’inquiète :

« Êtes-vous tous vaccinés ?

— Oui, t’as rien à craindre, Marlène !

— Même le dernier ?

— Édouard !? Y a 2 ans !!! Yé vaccinent pas à 2 ans !

— Oui, mais le party, c’est juste pour les vaccinés.

— Quoi ?! Veux-tu que je le laisse dans l’auto ?

— C’est pas fou, avec un peu de chauffage. »

Heureusement, la grand-mère Justine arrive sur l’entrefaite : « Chicanez-vous pas ! Je vais lui donner tout de suite son bas de Noël, au bel Édouard. Regarde, Édouard, ce qu’il y a dans ton bas de Noël. Un beau test rapide ! On va jouer avec tout de suite, comme ça matante Martine va arrêter de stresser ! »

Les bottes s’empilent dans le bain. Avec les quatre Tremblay, Angèle, ses trois enfants, la grand-mère Justine, le beau-père, la belle-mère, le beau-frère Zachary, sa blonde Fatoumata, le cousin Tony, ses trois gars, la voisine Christine et son mari Amir, on est à 19. Ne manque plus que le frère de Martine, Yannick.

Ding ! Dong ! C’est sûrement lui ! Martine se précipite. Elle ouvre :

« Joyeux Noël, Yannick !

— Joyeux Noël, sœurette !

— T’es pas tout seul ?

— Ben non ! Je suis avec mon chum Diego.

— Je pensais que vous aviez cassé…

— Oui, mais on a repris hier.

— Feliz Navidad, Martine !

— Feliz Navidad, Diego ! »

Il y a comme un froid. Et pas seulement parce que la porte est encore ouverte.

« Pourquoi tu fais cette face-là, la sœur ? »

La tante Marlène arrive dans l’entrée :

« Enfin, voilà Yannick ! On est 20, on est complet. C’est qui, le beau gars à côté, ton Uber ?

— Non, je ne suis pas Uber, je suis Diego.

— C’est mon chum.

— C’est ton chum !? Ça veut dire qu’il va rester ?

— J’espère ben !

— On peut pas être plus que 20. Avec lui, ça fait 21.

— Avec toi aussi, ça fait 21.

— C’est sûrement pas moi qui vais partir, j’étais la première arrivée.

— Justement, t’en as assez profité.

— Eille ! Ton Diego va partir avant moi ! De toute façon, ça doit pas faire longtemps qu’il est ton chum, je l’ai jamais vu à Noël !

— Ça fait deux ans qu’on est ensemble. Si y part, je pars ! »

Le cousin Tony tente de calmer les esprits : « Je pense que j’ai une solution. On va tous sortir fumer dehors, à tour de rôle, comme ça on sera jamais 21 dans la maison en même temps. » La plus jeune d’Angèle, Charlotte, lève les yeux au ciel :

« Tony, t’es le seul qui fume ici !!!

— Ben, vous pourriez commencer, par solidarité avec Yannick et Diego. »

Marlène se retourne vers Martine :

« Dis quelque chose !

— Qu’est-ce que tu veux que je dise ? Je suis pas pour laisser mon frère et son chum sur le perron. Donnez-moi vos manteaux !

— Ah ben, si c’est comme ça, j’appelle le 911 pour leur dire qu’on est 21 ! »

Le beau-frère Zachary a une idée : « Attends ! Attends ! On devrait faire une pige ! On met tous nos noms dans le bol à punch, le dernier nom pigé s’en va. » Sa blonde, exaspérée, rétorque : « Belle soirée ! »

Le beau-père intervient : « Calmez-vous, tout le monde ! Y a sûrement un buffer dans leur règlement. On est cinq ici trois fois vaccinés, on doit compter juste pour quatre. Faque dans le fond, on est 20. »

Marlène, la grincheuse, ne semble pas adhérer à cette méthode de calcul. Angèle descend l’escalier : « Je suis allée coucher Édouard en haut, je vais donner 20 piastres à nos hôtes pour le loyer de leur deuxième étage. Comme ça, pour ce soir, la maison, c’est deux logements différents. On est 20 en bas, et 1 en haut. On respecte le règlement ! » Marlène ne s’y oppose pas.

Encore une fois, un enfant a sauvé le monde.

Encore une fois, un enfant a sauvé Noël !