Ti-Lilly. C’est le nom que Régine Laurent a donné à celle que la loi nous empêche de nommer, et qu’on a appelée « la fillette de Granby ».

Un meurtre. C’est de ça qu’il s’agissait. Ce fut nommé officiellement jeudi par un jury.

Si la mort de cette enfant de 7 ans a tant remué le Québec, ce n’est pas seulement parce qu’elle a été martyrisée. C’est parce que nous portons collectivement une part de culpabilité ou, disons, de responsabilité.

Quand une petite fille est repérée presque à la naissance par la protection de la jeunesse, quand ces services de protection la mettent entre des mains incompétentes et dangereuses, quand elle va si mal qu’elle est renvoyée de l’école à 7 ans, sa mort au bout de tous ces systèmes d’alarme hurlants n’est plus une tragédie privée.

C’est une faillite collective, un drame national.

Cette enfant était censée être sous la tutelle bienveillante de l’État, du « système », donc de ce que « nous » avons installé pour qu’elle échappe à la violence et à la négligence.

Ça ne vient pas pour autant annuler les responsabilités individuelles. Criminelles.

Si ce jury a rendu son verdict de meurtre en une demi-journée – une sorte de record –, c’est parce qu’il n’y avait aucun doute.

On pense souvent à tort qu’un meurtre est uniquement l’action de tuer volontairement un être humain.

C’est aussi faire un geste illégal quand on sait qu’il peut tuer quelqu’un. Même si le but n’est pas de tuer cette personne.

Attacher une enfant de 7 ans avec du ruban pour l’empêcher de bouger, lui couvrir la tête avec : pas besoin d’un cours de médecine pour deviner ce que ça peut faire.

Même si « une autre personne » avait commencé le travail de séquestration pour immobiliser cette pauvre fillette, l’accusée a admis avoir ajouté du tape. Beaucoup de tape.

Un de ses propres enfants, un adolescent âgé aujourd’hui de 16 ans, a dit que sa sœur était comme une momie, sous ce sarcophage de plastique adhésif.

L’experte de la défense elle-même a reconnu que cette façon criminelle de l’attacher dans sa chambre avait entraîné la mort de l’enfant.

La belle-mère n’a peut-être pas du début voulu tuer Ti-Lilly. Mais elle savait très bien, ou aurait dû savoir, que « ça » pouvait l’asphyxier. Et elle l’a fait quand même.

Cela s’appelle un meurtre.

Je n’accepte donc pas l’idée que cette femme soit un « bouc émissaire ».

Elle est coupable, même si elle n’a « pas voulu ça », même si elle vit dans le remords perpétuel, même si elle dit « je l’aime », même si elle veut montrer ses photos dans son téléphone.

N’empêche. Tout ça fait mal.

C’est pour ça que, comme l’a admis Régine Laurent, moi aussi, j’ai souvent changé de chaîne de télé, de poste de radio ou de page de journal quand il était question de « ça ».

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Régine Laurent, présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, lors du dépôt de son rapport, le 3 mai dernier

Les enquêtes ont montré dans le détail comment, chaque fois que c’était possible, faisable, nécessaire… elle n’a pas été protégée.

Notre faillite, c’est d’avoir laissé cette fillette dans un endroit dangereux bien identifié, bien documenté.

« Chaque enfant qui meurt laisse une cicatrice au cœur, a écrit Régine Laurent dans le préambule du rapport de sa commission. Ta mort a laissé un profond sillon dans le cœur de la société. »

Cette commission d’enquête, sorte de grande mise à jour du système de protection de la jeunesse, n’est pas née seulement de cette mort. Elle est née du constat que la négligence des services sociaux a atteint un seuil insupportable au Québec. Que cette catastrophe humaine n’est pas seulement une triste anecdote ; c’est l’indice d’une négligence générale.

Toutes sortes de recommandations bien ficelées ont été avancées. Le ministre Lionel Carmant a affiché sa détermination à mettre à jour la protection des enfants au Québec.

Mais maintenant qu’une responsabilité criminelle a été établie, il nous reste à voir si la grande émotion collective qui nous a envahis aura des effets durables.

Ou si reviendra l’espèce d’endormissement collectif qui a permis cette mort, et tant d’autres drames déjà oubliés, jamais nommés, indifférenciés.